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Lorsque le jour parut, le vent s’était apaisé, mais Antonsen était à ce point épuisé qu’il lui était impossible de seulement soulever sa pagaie. Fred Churchill tira l’embarcation sur le rivage, en un endroit tranquille, et son camarade et lui s’assoupirent. Fred Churchill avait eu grand soin de tenir ses bras croisés sous sa tête afin que, gêné par la mauvaise circulation, il ne pût s’endormir trop profondément.

Plusieurs fois, il se réveilla pour consulter sa montre. Au bout de deux heures, il se releva et secoua Antonsen, qu’il remit debout.

Le lac Bennet, auquel les deux hommes ne tardèrent pas à arriver, mesurait trente milles de long. L’eau y était calme comme le bief d’un moulin. L’accalmie dura peu et, comme l’embarcation était en plein milieu du lac, le vent du Sud s’éleva, soulevant les flots. Il fallut, comme sur le lac Tagish, recommencer à lutter contre les paquets d’eau glacée qui déferlaient sur la pirogue et inondaient les rameurs. Antonsen était décidément à bout. Churchill le bourrait sans pitié. Mais bientôt il fut trop évident qu’il n’y avait plus rien à tirer du lourd géant. Il combattrait seul.

Il atteignit de la sorte, assez tôt dans l’après-midi, l’extrémité du lac Bennet et le poste qui s’y trouve.

En vain essaya-t-il d’extirper Antonsen de la pirogue : rien à faire. Il se pencha sur lui, écouta sa pesante respiration, et se prit à l’envier, en songeant à ce qui restait encore à faire.

L’Allemand pouvait rester là, à dormir. Tandis que lui, il avait encore à franchir, à pied et sans retard, les hautes et redoutables passes du Chilcoot, seule voie de terre vers le Pacifique et vers Dyea. La lutte véritable allait commencer et il songeait, avec une nuance de mélancolie, à l’effort suprême qu’il lui restait à demander à sa robuste carcasse.

La pirogue amarrée sur la grève, il empoigna le sac