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Sur le pont du vapeur, Louis Bondell frisait d’une main sa moustache fauve et, d’un geste mou de l’autre main, lançait vers la terre et les camarades qu’il y laissait, un dernier adieu. Soudain, une pensée lui surgit qu’il avait oublié quelque chose, et il se rua vers le bordage, en hurlant :

— Fred ! Ohé !… Ohé ! Fred !

Le Fred en question, de ses larges épaules, se fraya vivement un passage à travers la foule et, arrivé au premier rang, tendit l’oreille à l’appel de Louis Bondell. Celui-ci criait et se démenait comme un possédé. Il en avait la face toute congestionnée. Mais il était impossible, dans le bruit de l’hélice, de comprendre ce qu’il disait.

Ce que voyant, Louis Bondell se tourna vers la passerelle du navire, où se tenait le capitaine, et l’interpella :

— Hé là ! Capitaine Scott ! Arrêtez, s’il vous plaît ! Arrêtez !

Ainsi fut fait. À un coup de gong du capitaine, le vapeur stoppa. Ce fut à qui profiterait de ce nouveau répit pour réitérer ses adieux et les cris furent tels que Louis Bondell ne put davantage se faire entendre.

Le Seattle No 4 commençait à s’en aller à la dérive, et le capitaine Scott dut commander machine arrière, pour maintenir en place la bateau dans le courant. Puis il disparut un instant dans sa cabine, et ressortit muni d’un énorme porte-voix. Il était doué naturellement d’une voix de stentor et, quand il lança sur la foule un : « Silence ! » impératif, son ordre aurait pu être aussi bien entendu de la Montagne de l’Élan et de Klondike-City.

À terre et sur le navire, à cette injonction venue d’en haut, le silence se fit instantanément.

— Allons, qu’as-tu à dire, mon garçon ? demanda à Louis Bondell le capitaine Scott.

— Je voudrais dire à Fred Churchill, qui est là,