Page:London - Constuire un feu, nouvelles, trad Postif et Gruyer, 1977.djvu/218

Cette page a été validée par deux contributeurs.

sur le fleuve glacé, dans la sérénité argentée de la nuit, le regard fixé sur une liasse de banknotes de cent dollars, qui dansait féeriquement devant lui.

*

Il était encore nuit quand il s’éveilla.

Il se retrouva dans ses couvertures, avec ses mocassins et ses moufles, qu’il avait omis d’enlever, et les rabats de sa casquette encore sur ses oreilles.

Il se leva, aussi vite que pouvait le lui permettre son scorbut, construisit un feu et y mit de l’eau à chauffer. Comme il jetait dans la bouillotte en ébullition une pincée de bourgeons de sapin, il vit que la pâle lumière de l’aube hivernale apparaissait au ciel.

Pris de panique, il se saisit de son fusil et courut vers la berge du Yukon. Tandis qu’il s’aplatissait dans la neige, le souvenir lui vint qu’il avait, sur le feu, laissé en plan son infusion. Une seule pensée avait occupé son cerveau. John Thomson n’aurait-il pas changé d’avis, et aurait-il renoncé à voyager le jour de Noël ?

L’aurore se leva et se fondit dans la lumière du jour. Le temps était froid et clair. Approximativement, Morganson estima la température à cinquante degrés sous zéro. Pas un souffle de vent ne troublait la quiétude glacée de Northland.

Soudain Morganson qui, par la tension de ses muscles, avivait la souffrance de son scorbut, se redressa à demi. Il venait d’entendre le son éloigné de voix d’hommes et les aboiements plaintifs de chiens houspillés par le fouet.

Il commença par se battre les flancs avec ses bras. C’était une sérieuse affaire que d’armer un fusil avec cinquante degrés sous zéro. Aussi voulait-il, pour cette opération, développer tout le calorique dont sa chair était susceptible.

227