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— Je croyais qu’il y en avait davantage. Pour un demi-dollar, au moins…

— Il s’en faut de peu, répondit le cabaretier, tout en effectuant sa pesée. Ça ira ainsi. Je me rattraperai du poids qui manque sur un autre client plus fortuné. Morganson inclina la bouteille de whisky et, discrètement, n’emplit son verre qu’à moitié.

— Allons, allons, sers-toi une part d’homme ! prononça le patron, en guise d’encouragement.

Du coup, Morganson pencha à fond la bouteille et remplit le verre à ras le bord.

Lentement il but la merveilleuse liqueur, dont il sentait le feu lui mordre la langue, mettre dans sa gorge une vive chaleur et descendre, finalement, jusqu’à l’estomac, sa réconfortante et douce caresse.

— Toi, dis donc, tu as le scorbut ? interrogea le cabaretier.

— Je l’ai, c’est un fait… répondit Morganson. Mais si peu que rien. Je n’ai seulement pas commencé à enfler. J’espère arriver à Daya sans encombre et là, avec des légumes frais, j’arrêterai les progrès du mal.

— Toutes les déveines, alors ? riposta l’autre, en riant d’un bon gros rire sympathique. Toutes à la fois ? Pas de chiens, pas d’argent et, par-dessus le marché, le scorbut. Si j’étais de toi, je prendrais, sans plus attendre, de la tisane de bourgeons de sapin.

— C’est bien ce que je fais, affirma Morganson[1].

Au bout d’une demi-heure d’un bienfaisant repos, l’homme fit ses adieux à son hôte et quitta le cabaret. Il repassa sur son épaule écorchée la corde du traîneau et reprit, dans la direction du Sud, la piste du fleuve.208

  1. Rappelons que Jack London, au cours de son séjour au Klondike, a éprouvé lui-même les atteintes de la terrible maladie. (N. d. E.).