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refrénée, les allongeait vers le bienheureux morceau de lard, que paraissait réclamer la poêle à frire.

Morganson, s’étant levé, fit quelques pas de long en large, puis se rassit et tira une pipe d’une de ses poches. Il en scruta le fourneau et le cogna sur sa paume ouverte. Il était vide.

Il sortit sa blague, tissée de poils de phoque, la retourna soigneusement et en épousseta la doublure. Cela fait, il réunit, entre le pouce et l’index, les saletés qui en étaient tombées, et parmi lesquelles se trouvaient mêlées quelques bribes microscopiques de tabac.

Il isola celles-ci, avec un soin méticuleux, puis leur adjoignit délibérément de petits déchets de laine, provenant de l’envers de ses vêtements, et qui s’étaient depuis longtemps accumulés au fond de ses poches. Au bout d’un quart d’heure de ce travail, la pipe était à moitié pleine.

Il l’alluma à son feu de campement, dont il se rapprocha davantage, et devant lequel il s’assit sur ses couvertures. Tout en tirant de parcimonieuses bouffées, il fit sécher les mocassins qu’il avait aux pieds.

Lorsque la pipe fut terminée, il se remit debout et, tout en considérant la flamme du feu qui se mourait, il se plongea dans une profonde méditation.

Peu à peu son regard s’éclairait et, sous des paupières contractées, une résolution farouche apparut dans ses yeux. Dans le chaos de sa misère il avait enfin vu clair et il avait pris une détermination. Elle n’était pas très noble, sans doute, car son visage se durcit et un ricanement sardonique crispa ses lèvres.

L’idée trouvée, il convenait de la mettre en action. Morganson, levant son camp, roula et empaqueta ses couvertures, puis les chargea sur son traîneau, en compagnie de son poêle de tôle, de son fusil et de sa hache, de la poêle à frire et du bout de lard fumé. Ensuite il lia le tout avec une courroie.206