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rayons obliques du soleil de minuit, qui arrivaient à peine à percer les nuages de fumée, provenant de lointaines forêts en feu, et que promenait le vent dans l’éther. Des reflets rouges se réverbéraient sur les visages et sur le sol, donnant aux êtres et aux choses un aspect irréel et fantomatique.

Les hirondelles rasaient de leur vol la surface calme du Yukon et passaient, légères, sur les têtes de la foule. Des rouges-gorges gazouillaient dans les buissons. On entendait, au loin, les cris de milliers d’oiseaux sauvages, qui avaient établi sur les rives du fleuve leurs nids piaillants et leurs couvées.

Les enchères se mirent lentement en mouvement. Elles furent amorcées par le Sitkan, débarqué une demi-heure avant et qui, sans sourciller, offrit d’El-Sou cent dollars. Il parut fort étonné, lorsqu’il vit aussitôt le canon du fusil d’Akoun se tourner, menaçant, vers lui.

Sans doute ce geste découragea-t-il les amateurs, car ce fut assez péniblement qu’un Indien du Tozikalat, qui exerçait le métier de pilote sur un des vapeurs du Yukon, offrit ensuite cent cinquante dollars. Quelque temps s’écoula encore, avant qu’un joueur professionnel, expulsé du pays supérieur et de ses tripots, où il trichait, montât l’enchère à deux cents dollars.

El-Sou, attristée et blessée dans son orgueil, de trouver si peu de preneurs, promenait sur la foule un regard méprisant.

C’est l’instant que choisit Porportuk pour se frayer un passage parmi les assistants et pour crier, d’une voix forte :

— Cinq cents dollars !

Après quoi il se rengorgea, attendant de voir l’effet produit autour de lui. Il s’était résolu, en agissant ainsi, à assommer du premier coup, de sa grande richesse, quiconque aurait médité de se mettre en travers de son désir.