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Sainte-Croix, par le premier vapeur, pour la catéchiser. Elle ne réussit pas davantage. El-Sou lui déclara :

— Mon père, à cette heure, erre en gémissant, à travers les épaisses et noires forêts sans fin, où sont enfermées les âmes damnées. Il ne sera point délivré avant que cette dette ne soit payée. C’est alors, alors seulement, qu’il lui sera permis de faire son entrée dans la maison du Tout-Puissant.

— Et tu crois réellement, El-Sou, à toutes ces fables ? demanda Sœur Alberta.

— Pourquoi n’y croirais-je pas ? Ces choses sont-elles vraies ou fausses ? Je l’ignore. Tout ce que je sais, c’est que mon père y croyait.

Et, comme Sœur Alberta haussait les épaules, d’un air incrédule, El-Sou continua :

— Tu crois bien, en ta religion, qu’il y a dans le ciel des anges avec des harpes, qui y reçoivent les élus. Pourquoi mon père aurait-il eu tort de dire que le Paradis est une grande maison où l’on s’assoit quand on y est admis, à la table d’un éternel festin, présidé par Dieu ?

— Et ton Paradis à toi, comment le conçois-tu ?

— J’y mets un peu des deux, répliqua El-Sou, après quelque hésitation. L’un et l’autre peuvent avoir du bon. Pourtant, s’il fallait choisir, je préférerais, je crois, celui que tu m’as enseigné…

À l’approche de la date fixée, il y eut au Poste une grande affluence. C’était l’époque où les diverses tribus indiennes de ces parages avaient l’habitude de se réunir à Tana-Naw, pour y attendre l’apparition du saumon. Entre-temps, elles s’y divertissaient à danser ou à chanter, trafiquaient quelque peu et, de choses et d’autres, bavardaient sans fin. Elles se retrouvaient là avec d’autres groupes d’aventuriers blancs, chercheurs d’or ou marchands. Mais, cette fois, l’annonce des enchères qui allaient avoir lieu avait attiré une foule plus considérable encore.