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divertissante que les solives du toit furent ébranlées des éclats joyeux des convives. Ni pleurs, ni soupirs, devant la mort imminente du vieillard. El-Sou l’avait ainsi voulu, parce qu’elle trouvait cela beau. Son père devait rendre l’âme en gaieté, comme il avait vécu.

Parmi les invités, étaient trois matelots, qui s’en revenaient à demi gelés, d’une croisière dans l’océan Arctique et étaient les seuls rescapés d’un équipage de soixante-quatorze hommes. Ils semblaient comme en délire. Derrière Klakee-Nah, quatre vieux esclaves, les seuls qui lui demeuraient de tous ceux qu’il avait possédés naguère, veillaient à le servir. Ils remplissaient son verre, de leurs mains à demi paralysées, ou lui cognaient le dos, entre les épaules, pour le faire se redresser, quand les spasmes de l’agonie le secouaient et le faisaient tousser convulsivement.

L’orgie dura toute la nuit. À mesure que grandissaient les clameurs et les rires, la mort croissait, elle aussi, dans la gorge de Klakee-Nah, qui commanda que l’on fît venir Porportuk.

Et Porportuk entra, avec une bouffée d’air glacé qui venait du dehors, avec lui. Il commença, selon sa coutume, par jeter un regard désapprobateur sur la viande et sur les bouteilles qui chargeaient la table, et qu’il avait payées. Mais bientôt son regard courut au-delà des faces enluminées des convives, jusqu’au gracieux visage d’El-Sou. Une lueur brilla dans ses yeux et, pour un instant, son courroux s’évanouit.

On lui fit place à côté de Klakee-Nah et on mit un verre devant lui. De ses propres mains, El-Sou le lui remplit d’une boisson forte.

— Bois ! lui cria-t-elle. C’est fameux, n’est-ce pas ?

Les prunelles de Porportuk s’humectèrent d’émotion et il acquiesça de la tête, en faisant claquer sa langue.

— Je suis bien certain que tu ne possèdes rien de pareil dans ta maison ! balbutia Klakee-Nah.