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de la sorte, dans un bateau qui descendait le Yukon à la dérive. La loi de Red Cow, qu’il avait si souvent appliquée, lui avait été appliquée à lui-même. C’était bien cela. Il avait assassiné et on l’avait abandonné sur le Yukon.

Mais qui avait-il assassiné ? Il martela de nouveau sa pauvre tête, pour tirer une réponse à cette question. Il ne put se souvenir de quoi que ce soit, sinon de vagues coups de poings donnés par lui et d’une chute d’un ou de plusieurs corps sur le sien. Peut-être n’était-ce pas un seul homme qu’il avait supprimé. Il porta ses mains à sa ceinture. Son couteau y manquait dans sa gaine. Il s’en était servi ! Cela non plus ne pouvait faire l’ombre d’un doute.

Pourquoi avait-il tué ? Pour quelles raisons ? Mystère. Il rouvrit un œil, péniblement et, avec effroi, s’en servit pour explorer le bateau. Il n’y avait pas de vivres à bord. Rien. Pas une once de vivres.

Il se rassit, en poussant un rugissement. Il avait tué sans provocation ! L’extrême rigueur de la loi lui avait été appliquée !

Une demi-heure durant, il resta comme pétrifié, tenant entre ses mains sa tête gonflée et tâchant de rassembler ses pensées. Puis, s’étant rafraîchi l’estomac avec une gorgée d’eau, qu’il lampa à même le fleuve, il se sentit mieux. Alors, il se redressa et, seul sur le Yukon désert qui s’étendait à perte de vue autour de lui, parmi l’immense silence désolé, troublé seulement par quelques rumeurs sauvages, il maudit longuement, et à voix haute, le whisky et les boissons fortes. Après quoi, il amarra sa barque à un énorme sapin flottant, sur lequel le courant avait plus de prise, et qui l’entraîna plus rapidement à sa suite. Il termina en se lavant la figure et les mains dans l’eau du Yukon, s’assit à l’arrière du bateau et se replongea dans ses pensées.

Le mois de juin finissait. Il n’y avait, en cette