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sive quantité de whisky qu’il avait bu, et qui ressemblait à un four chauffé à blanc. Sa tête, en outre, lui faisait horriblement mal, tant à l’intérieur qu’extérieurement. Tout son visage le démangeait de fièvre.

Durant les six heures qu’il avait dormi, des milliers et des milliers de moustiques s’étaient abattus sur sa face, s’y étaient engraissés de son sang et, en remerciement, avaient déversé dans ses veines leur venin. Sa figure était si prodigieusement enflée qu’il lui fallut un violent effort de volonté pour réussir à ouvrir les yeux et à voir clair, à travers les fentes étroites laissées par sa chair tuméfiée.

Il se trouva ensuite qu’il voulait remuer ses mains. Elles étaient non moins douloureuses. Il loucha vers elles. Mais c’est à peine s’il leur reconnut une forme, tellement elles étaient gonflées, elles aussi, par le virus des moustiques.

Marcus O’Brien avait perdu le sentiment de sa propre identité. Un vide se creusait dans son existence, vide qu’il était incapable de remplir. Il lui semblait avoir complètement divorcé d’avec son passé, dont aucun jalon ne demeurait en son esprit. Il se sentait malade, par surcroît, si malade et si misérable que toute énergie lui manquait pour fouiller dans son cerveau, à la recherche de ce passé disparu.

Puis il reconnut, dans son petit doigt, une certaine et anormale courbure, causée par une brisure de l’os, mal remis. Alors seulement il reprit conscience qu’il était Marcus O’Brien. Et, soudain, tout le passé se rua en lui. Il retrouva, peu après, sous l’ongle d’un de ses pouces, une tache injectée de sang, causée par un coup qu’il s’était donné, la semaine précédente. L’identification se complétait et devenait doublement certaine. Ces mains, si étrangement défigurées, appartenaient bien à Marcus O’Brien. Ou, plus exactement, O’Brien appartenait à ces mains.

Sa première pensée fut qu’il sortait de quelque