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Leclaire. Exactement la même idée… Comme c’est bizarre ! Rentrons…

Leclaire approuvait. Tous deux, ayant remis sur pied O’Brien, s’éloignèrent. Au bout d’un instant, ils s’aperçurent qu’il ne les suivait pas. O’Brien semblait avoir perdu toute notion des choses. Il ne voyait ni n’entendait rien. Il avait l’air d’un automate, et se dandinait sur place, comme un canard. Affectueusement, ses deux associés le soutinrent sous les bras et, tant bien que mal, l’entraînèrent avec eux.

Le trio prit un sentier qui descendait vers la rive du Yukon. Leur gîte ne se trouvait point de ce côté, mais les idées de Mucluc et de Leclaire n’étaient pas beaucoup plus nettes que celles d’O’Brien. Mucluc continuait à ricaner.

Tous trois arrivèrent ainsi à l’endroit où le bateau de Siskiyou Pearly, qui avait apporté les fameux tonneaux, était amarré à la berge. La corde qui le retenait sur les eaux bondissantes traversait le sentier, pour aller s’attacher à une souche de sapin. Les trois hommes ne virent point cette corde, qui les fit culbuter, et ils s’étalèrent sur le sol, les uns sur les autres.

Marcus O’Brien, qui était dessous, commença par se débattre rageusement et par jouer des poings, pour se dégager. Puis, quand il fut déchargé du poids de ses deux compagnons, qui s’étaient relevés, le sommeil le reprit et, se trouvant bien là où il gisait, il recommença à ronfler.

Mucluc Charley s’était remis à plaisanter.

— Ça, pour une idée, marmotta-t-il, c’en est une… Je viens de l’attraper au vol… Pschut ! Comme on prend un papillon… Leclaire, écoute-moi… O’Brien est ivre… Abominablement ivre… C’est une véritable honte… Il a mérité une leçon… On va la lui donner… Vois-tu, Charley, le bateau de Pearly, qui est là, à danser sur l’eau… Nous allons y mettre O’Brien…