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et avait en sa possession un vieux journal, datant de quatre mois. Il amenait en plus, dans son bateau, une demi-douzaine de tonneaux de whisky, tous adressés à Jim le Frisé.

Les hommes de Red Cow quittèrent leur travail. Ils dégustèrent le whisky, à un dollar le verre, celui-ci pesé sur les balances de Jim le Frisé, et ils discutèrent des nouvelles du journal.

Et tout se serait admirablement passé, si Jim le Frisé n’avait conçu le projet diabolique de saouler Marcus O’Brien, puis de profiter de son ébriété pour lui acheter son filon.

Ce plan, au début, marcha comme sur des roulettes. Il reçut son exécution dès le début de la soirée et, à neuf heures du soir, Marcus O’Brien chantait à tue-tête. Il s’accrochait à Jim le Frisé, en lui passant son bras autour du cou, et même il n’hésita point à entamer la fatale chanson des petits oiseaux qui, un mois avant, avait coûté la vie au pauvre Ferguson. Peu importait maintenant, puisque l’homme aux oreilles trop délicates, qui avait tué par amour de l’art, était parti sur le Yukon, qui l’avait emporté à la vitesse de cinq milles à l’heure. Il était certainement loin à présent !

Mais la seconde partie de la combinaison ne répondit point au succès de la première. En dépit de l’invraisemblable quantité de whisky qu’il lui versa dans le gosier, Jim le Frisé ne put amener O’Brien à considérer comme un devoir d’ami, et une juste reconnaissance pour tant de bons verres absorbés, de lui vendre son filon.

Il y avait des moments, sans doute, où O’Brien hésitait, et un tremblement s’emparait de lui, lorsqu’il se sentait sur le point de céder. Mais, quel que fût le trouble de ses idées, il ne laissait point son cerveau battre la campagne plus qu’il ne convenait. Il redevenait toujours maître de lui-même et riait intérieure-