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De l’Enthouſiaſme. Liv. IV.

cette lumiére intérieure qui ſe préſente à lui pour lui ſervir de guide. Dieu ne détruit pas l’homme en faiſant un Prophete. Il lui laiſſe toutes ſes Facultez dans leur état naturel, pour qu’il puiſſe juger ſi les Inſpirations qu’il ſent en lui-même ſont d’une origine divine, ou non. Dieu n’éteint point la lumiére naturelle d’une perſonne lorſqu’il vient à éclairer ſon Eſprit d’une lumiére ſurnaturelle. S’il veut nous porter à recevoir la vérité d’une Propoſition, ou il nous fait voir cette vérité par les voyes ordinaires de la Raiſon naturelle, ou bien il nous donne à connoître que c’eſt une vérité que ſon Autorité nous doit faire recevoir, & il nous convainc qu’elle vient de lui, & cela par certaines marques auxquelles la Raiſon ne ſauroit ſe méprendre. Ainſi, la Raiſon doit être notre dernier Juge & notre dernier Guide en toute choſe. Je ne veux pas dire par-là que nous devions conſulter la Raiſon & examiner ſi une Propoſition que Dieu a revelée, peut être démontrée par des Principes naturels, & que ſi elle ne peut l’être, nous ſoyons en droit de la rejetter ; mais je dis que nous devons conſulter la Raiſon pour examiner par ſon moyen ſi c’eſt une Revelation qui vient de Dieu, ou non. Et ſi la Raiſon trouve que c’eſt une Revelation divine, dès-lors la Raiſon ſe déclare auſſi fortement pour elle que pour aucune autre vérité, & en fait une de ſes Règles. Du reſte il faut que chaque imagination qui frappe vivement notre fantaiſie paſſe pour une inſpiration, ſi nous ne jugeons de nos perſuaſions que par la forte impreſſion qu’elles font ſur nous. Si, dis-je, nous ne laiſſons point à la Raiſon le ſoin d’en examiner la vérité par quelque choſe d’exterieur à l’égard de ces perſuaſions mêmes, les Inſpirations & les Illuſions, la Vérité & la Fauſſeté auront une même meſure, & il ne ſera pas poſſible de les diſtinguer.

§. 15.La Croyance ne prouve pas la Revelation. Si cette lumiére intérieure ou quelque Propoſition que ce ſoit, qui ſous ce titre paſſe pour inſpirée dans notre Eſprit, ſe trouve conforme aux Principes de la Raiſon ou à la Parole de Dieu, qui eſt une Revelation atteſtée ; en ce cas-là nous avons la Raiſon pour garant, & nous pouvons recevoir cette lumiére pour véritable & la prendre pour Guide tant à l’égard de notre croyance qu’à l’égard de nos actions. Mais ſi elle ne reçoit ni témoignage ni preuve d’aucune de ces Règles, nous ne pouvons point la prendre pour une Revelation, ni même pour une vérité, juſqu’à ce que quelque autre marque différente de la croyance où nous ſommes que c’eſt une Revelation, nous aſſûre que c’eſt effectivement une Revelation. Ainſi nous voyons que les Saints hommes qui recevoient des revelations de Dieu, avoient quelque autre preuve que la lumiére intérieure qui éclattoit dans leurs Eſprits, pour les aſſûrer que ces Revelations venoient de la part de Dieu. Ils n’étoient pas abandonnez à la ſeule perſuaſion que leurs perſuaſions venoient de Dieu ; mais ils avoient des ſignes extérieurs qui les aſſûroient, que Dieu étoit l’Auteur de ces Revelations ; & lorſqu’ils devoient en convaincre les autres, ils recevoient un pouvoir particulier pour juſtifier la vérité de la commiſſion qui leur avoit été donnée du Ciel, & pour certifier par des ſignes viſibles l’autorité du meſſage dont ils avoient été chargez de la part de Dieu. Moïſe vit un Buiſſon qui brûloit ſans ſe conſumer, & entendit une voix du milieu du Buiſſon. C’étoit là quelque choſe de plus