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De la Raiſon. Liv. IV.

par où l’on ſuppoſe que l’Homme eſt diſtingué des Bêtes, & en quoi il eſt évident qu’il les ſurpaſſe de beaucoup ; & c’eſt dans ce ſens-là que je vais la conſiderer dans tout ce Chapitre.

§. 2. Si la Connoiſſance générale conſiſte, comme on l’a dejà montré, dans une perception de la convenance ou de la diſconvenance de nos propres Idées, & que nous ne puiſſions connoître l’exiſtence d’aucune choſe qui ſoit hors de nous que par le ſecours de nos Sens, excepté ſeulement l’exiſtence de Dieu, de laquelle chaque homme peut s’inſtruire lui-même certainement & d’une maniére démonſtrative par la conſideration de ſa propre exiſtence ; quel lieu reſte-t-il donc à l’exercice d’aucune autre Faculté que la Perception extérieure des Sens & de la Perception intérieure de l’Eſprit ? Quel beſoin avons-nous de la Raiſon ? Nous en avons un fort grand beſoin, tan pour étendre notre Connoiſſance que pour regler notre Aſſentiment ; car elle a lieu la Raiſon & dans ce qui appartient à la Connoiſſance & dans ce qui regarde l’Opinion. Elle eſt d’ailleurs néceſſaire & utile à toutes nos autres Facultez intellectuelles, & à le bien prendre, elle conſtituë deux de ces Facultez, ſavoir la Sagacité, & la Faculté d’inſerer ou de tirer des concluſions. Par la prémiére elle trouve des Idées moyennes, & par la ſeconde elle les arrange de telle maniére, qu’elle découvre la connexion qu’il y a dans chaque partie de la Déduction, par où les Extrêmes ſont unis enſemble, & qu’elle amène au jour, pour ainſi dire, la vérité en queſtion, ce que nous appellons inſerer, & qui ne conſiſte en autre choſe que dans la perception de la liaiſon qui eſt entre les idées dans chaque dégré de la Déduction ; par où l’Eſprit vient à découvrir la convenance ou la diſconvenance certaine de deux Idées, comme dans la Demonſtration où il parvient à la Connoiſſance, ou bien à voir ſimplement leur connexion probable, auquel cas il donne ou retient ſon conſentement, comme dans l’Opinion. Le Sentiment & l’Intuition ne s’étendent pas fort loin. La plus grande partie de notre Connoiſſance dépend de déductions & d’Idées moyennes ; & dans les cas où au lieu de Connoiſſance, nous ſommes obligez de nous contenter d’un ſimple aſſentiment, & de recevoir des Propoſitions pour véritables ſans être certains qu’elles le ſoient, nous avons beſoin de découvrir, d’examiner, & de comparer les fondemens de leur probabilité. Dans ces deux cas, la Faculté qui trouve et applique comme il faut les moyens néceſſaires pour découvrir la certitude dans l’un, & la probabilité dans l’autre, c’eſt ce que nous appellons Raiſon. Car comme la Raiſon apperçoit la connexion néceſſaire & indubitable que toutes les idées ou preuves ont l’une avec l’autre dans chaque dégré d’un Diſcours auquel elle juge qu’on doit donner ſon aſſentiment ; ce qui eſt le plus bas dégré de ce qui peut être véritablement appellé Raiſon. Car lorſque l’Eſprit n’apperçoit pas cette connexion probable, & qu’il ne voit pas s’il y a une telle connexion ou non, en ce cas-là les opinions des hommes ne ſont pas des productions du Jugement ou de la Raiſon, mais des effets