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Des Axiomes. Liv. IV.

reux pour prouver des choſes, où le ſecours de ces Maximes n’eſt nullement néceſſaire pour en établir la preuve, parce qu’elles ſont aſſez claires par elles-mêmes ſans leur entremiſe, c’eſt-à-dire, où nos Idées ſont déterminées & connuës par le moyen des noms qu’on employe pour les déſigner ; cependant lorſqu’on ſe ſert de ces Principes, Ce qui eſt, eſt, &, Il eſt impoſſible qu’une même choſe ſoit & ne ſoit pas, pour prouver des Propoſitions où il a des Mots, qui ſignifient des Idées complexes, comme ceux-ci, Homme, Chevale, Or, Vertu, &c. alors ces Principes ſont extrêmement dangereux, & engagent ordinairement les hommes à regarder & à recevoir la Fauſſeté comme une Vérité manifeſte, & des choſes fort incertaines comme des Démonſtrations, ce qui produit l’erreur, l’opiniâtreté, & tous les malheurs où peuvent s’engager les hommes en raiſonnant mal. Ce n’eſt pas, que ces Principes ſoient moins véritables, ou qu’ils ayent moins de force pour prouver des Propoſitions compoſées de termes qui ſignifient des Idées complexes, que des Propoſitions qui ne roulent que ſur des Idées ſimples ; mais lorſqu’on retient les mêmes termes, les Propoſitions roulent ſur les mêmes choſes, quoi que dans le fond les idées que ces termes ſignifient, ſoient différentes. Ainſi, l’on ſe ſert de ces Maximes pour ſoûtenir des Propoſitions qui par le ſon & par l’apparence ſont viſiblement contradictoires, comme on l’a pu voir clairement dans les Démonſtrations que je viens de propoſer ſur le Vuide. De ſorte que, tandis que les hommes prennent des mots pour des choſes, comme ils le ſont ordinairement, ces Maximes peuvent ſervir & ſervent communément à prouver des propoſitions contradictoires, comme je vais le faire voir encore plus au long.

§. 16.Exemple dans l’Homme. Par exemple, que l’homme ſoit le ſujet ſur lequel on veut démontrer quelque choſe par le moyen de ces prémiers Principes, & nous verrons que tant que la Démonſtration dépendra de ces Principes, elle ne ſera que verbale, & ne nous fournira aucune Propoſition certaine, véritable, & univerſelle, ni aucune connoiſſance de quelque Etre exiſtant hors de nous. Prémiérement, un Enfant s’étant formé l’Idée d’un homme, il eſt probable que ſon idée eſt juſtement ſemblable au Portrait qu’un Peintre fait des apparences viſibles qui jointes enſemble conſtituent la forme extérieure d’un homme ; de ſorte qu’une telle complication d’Idée unies dans ſon Entendement compoſe cette particuliére idée complexe qu’il appelle homme ; & comme le Blanc ou la couleur de Chair fait partie de cette Idée, l’Enfant peut vous démontrer qu’un Negre n’eſt pas un homme, parce que la Couleur blanche eſt une des idées ſimples qui entrent conſtamment dans l’idée complexe qu’il appelle homme, il peut, dis-je, démontrer en vertu de ce Principe, Il eſt impoſſible qu’une même choſe ſoit & ne ſoit pas, qu’un Négre n’eſt pas un homme, ſa certitude n’étant pas fondée ſur cette Propoſition univerſelle, dont il n’a peut-être jamais ouï parler, ou à laquelle il n’a jamais penſé, mais ſur la perception claire & diſtincte qu’il a de ſes idées ſimples de noir & de blanc, qu’il ne peut confondre enſemble, ou prendre l’une