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Des Axiomes. Liv. IV.

§. 2.En quoi conſiſte cette évidence immédiate. La Connoiſſance conſiſte, comme je l’ai déjà montré, dans la perception de la convenance ou la diſconvenance des Idées. Or par-tout où cette convenance ou diſconvenance eſt apperçuë immédiatment par elle-même, ſans l’intervention ou le ſecours d’aucune autre Idée, notre Connoiſſance eſt évidente par elle-même. C’eſt dequoi ſera convaincu tout homme qui conſiderera une de ces Propoſitions auxquelles il donne ſon conſentement dès la prémiére vûë ſans l’intervention d’aucune preuve ; car il trouvera que la raiſon pourquoi il reçoit toutes ces Propoſitions, vient de la convenance ou de la diſconvenance que l’Eſprit voit dans ces Idées en les comparant immédiatement entr’elles ſelon l’affirmation ou la negation qu’elles emportent dans une telle Propoſition.

§. 3.Elle n’eſt pas particulière aux Propoſitions qui paſſent pour Axiomes. Cela étant ainſi, voyons préſentement ſi cette ([1]) évidence immédiate ne convient qu’à ces Propoſitions auxquelles on donne communément le nom de Maximes, & qui ont l’avantage de paſſer pour Axiomes. Il eſt tout viſible, que pluſieurs autres Véritez qu’on ne reconnoit point pour Axiomes ſont auſſi évidentes par elles-mêmes que ces ſortes de Propoſitions. C’eſt ce que nous verrons bien-tôt, ſi nous parcourons les différentes ſortes de convenance ou de diſconvenance d’Idées que nous avons propoſé ci-deſſus, ſavoir, l’Identité, la relation, la coexiſtence, & l’exiſtence réelle ; par où nous reconnoîtrons que non ſeulement ce peu de Propoſitions qui ont paſſé pour Maximes ſont évidentes par elles-mêmes, mais que quantité, ou plûtôt une infinité d’autres Propoſitions le ſont auſſi.

§. 4.I. À l’égard de l’Identité & de la Diverſité toutes les Propoſitions ſont également évidentes par elles-mêmes. Car prémiérement la perception immédiate d’une convenance ou diſconvenance d’Identité, étant fondée ſur ce que l’Eſprit a des Idées diſtinctes, elle nous fournit autant de Propoſitions évidentes par elles-mêmes que nous avons d’Idées diſtinctes. Quiconque a quelque connoiſſance, a diverſes idées diſtinctes qui ſont comme le fondement de cette Connoiſſance : & le prémier acte de l’Eſprit ſans quoi il ne peut jamais être capable d’aucune connoiſſance, conſiſte à connoître chacune de ſes Idées par elle-même, & à la diſtinguer de toute autre. Chacun voit en lui-même qu’il connoit les idées qu’il a dans l’Eſprit, qu’il connoit auſſi quand c’eſt qu’une Idée préſente à ſon Entendement, & ce qu’elle eſt ; & que lorſqu’il y en a plus d’une, il les connoit diſtinctement, & ſans les confondre l’une avec l’autre. Ce qui étant toûjours ainſi, (car il eſt impoſſible qu’il n’apperçoive point ce qu’il apperçoit) il ne peut jamais douter qu’une Idée qu’il a dans l’Eſprit, n’y ſoit actuellement, & ne ſoit ce qu’elle eſt ; & que deux Idées diſtinctes qu’il a dans l’Eſprit, n’y ſoient effectivement, & ne ſoient deux idées. Ainſi, toutes ces ſortes d’affirmations & de negations ſe font ſans qu’il ſoit poſſible d’héſiter, d’avoir aucun doute ou aucune incertitude

  1. Self-evidence : mot expreſſif Anglois, qu’on ne peut rendre en François, ſi je ne me trompe, que par periphraſe. C’eſt la propriété qu’a une Propoſition, d’être évidente par elle-même ; ce que j’appelle évidence immédiate, pour ne pas embarraſſer le diſcours d’une longue circonlocution. Après ce que l’Auteur vient de dire dans le Paragraphe précedent, il étoit aiſé d’entendre ici ce que j’ai voulu dire par cette expreſſion. Mais comme j’en aurai peut-être beſoin dans la ſuite, j’ai crû qu’il ne ſerait pas inutile d’avertir le Lecteur que c’eſt-là le ſens que je lui donnerai conſtamment.