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De l’Etenduë de la Connoiſſance humaine. Liv. IV.

quelque choſe encore plus éloigné de notre comprehenſion, il nous eſt impoſſible de connoître la liaiſon ou l’incompatiblité qui ſe trouve entre ces Secondes Qualitez ; car ne connoiſſant pas la ſource d’où elles découlent, je veux dire la groſſeur, la figure & la contexture des parties d’où elles dépendent, & d’où reſultent, par exemple, les Qualitez qui compoſent notre idée complexe de l’Or, il eſt impoſſible que nous puiſſions connoître quelques autres Qualitez procedent de la même conſtitution des parties inſenſibles de l’Or, ou ſont incompatibles avec elle, & doivent par conſéquent coëxiſter toûjours avec l’idée complexe que nous avons de l’Or, ou ne pouvoir ſubſiſter avec une telle idée.

§. 12.Parce que nous ne ſaurions découvrir la connexion qui eſt entre aucune ſeconde Qualité & les Prémiéres Qualitez. Outre cette ignorance où nous ſommes à l’égard des Prémiéres Qualitez des parties inſenſibles des Corps d’où dépendent toutes leurs ſecondes Qualitez, il y a une autre ignorance encore plus incurable, & qui nous met dans une plus grande impuiſſance de connoître certainement la coëxiſtence et la non-coëxiſtence de différentes idées dans un même ſujet, c’eſt qu’on ne peut découvrir aucune liaiſon entre une ſeconde Qualité & les prémiéres Qualitez dont elle dépend.

§. 13. Que la groſſeur, la figure & le mouvement d’un Corps cauſent du changement dans la groſſeur, dans la figure & dans le mouvement d’un autre Corps, c’eſt ce que nous pouvons fort bien comprendre. Que les parties d’un Corps ſoient diviſées en conſéquence de l’intruſion d’un autre Corps, & qu’un Corps ſoit transféré du repos au mouvement par l’impulſion d’un autre Corps, ces choſes & autres ſemblables nous paroiſſent avoir quelque liaiſon l’une avec l’autre : & ſi nous connoiſſions ces prémiéres Qualitez des Corps, nous aurions ſujet d’eſpérer que nous pourrions connoître un beaucoup plus grand nombre de ces différentes maniéres dont les Corps opérent l’un ſur l’autre. Mais notre Eſprit étant incapable de découvrir aucune liaiſon entre ces prémiéres Qualitez des Corps, & les ſenſations qui ſont produites en nous par leur moyen, nous ne pouvons jamais être en état d’établir des règles certaines & indubitables de la conſéquence ou de la coëxiſtence d’aucunes ſecondes Qualitez, quand bien nous pourrions découvrir la groſſeur, la figure ou le mouvement des Parties inſenſibles qui les produiſent immédiatement. Nous ſommes ſi éloignez de connoître quelle figure, quelle groſſeur, ou quel mouvement de parties produit la couleur jaune, un gout de douceur, ou un ſon aigu, que nous ne ſaurions comprendre comment aucune groſſeur, aucune figure, ou aucun mouvement de parties peut jamais être capable de produire en nous l’idée de quelque couleur, de quelque goût, ou de quelque ſon que ce ſoit. Nous ne ſaurions, dis-je, imaginer aucune connexion entre l’une & l’autre de ces choſes.

§. 14. Ainſi quoi que ce ſoit uniquement par le ſecours de nos Idées que nous pouvons parvenir à une connoiſſance certaine & générale, c’eſt en vain que nous tâcherions de découvrir par leur moyen quelles ſont les autres idées qu’on peut trouver conſtamment jointes avec celles qui conſtituent notre Idée complexe de quelque ſubſtance que ce ſoit ; puiſque nous ne