Page:Locke - Essai sur l’entendement humain.djvu/461

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
418
Remedes contre l’Imperfection

me les Mots, & ſur-tout ceux des Langues déja formées, n’appartiennent point en propre à aucun homme, mais ſont la règle commune du commerce & de la communication qu’il y a entre les hommes, il n’eſt pas raiſonnable que chacun change à plaiſir l’empreinte ſous laquelle ils ont cours, ni qu’il altére les idées qui y ont été attachées, ou du moins, lorſqu’il doit le faire néceſſairement, il eſt obligé d’en donner avis. Quand les hommes parlent, leur intention eſt, ou devroit être au moins d’être entendus, ce qui ne peut être, lorſqu’on s’écarte de l’Uſage ordinaire, ſans de fréquentes explications, des demandes & autres telles interruptions incommodes. Ce qui fait entrer nos penſées dans l’Eſprit des autres hommes de la maniére la plus facile & la plus avantageuſe, c’eſt la propriété du Langage, dont la connoiſſance eſt par conſéquent bien digne d’une partie de nos ſoins & de notre Etude, & ſur-tout à l’égard des Mots qui expriment des idées de Morales. Mais de qui peut-on le mieux apprendre la ſignification propre & le véritable uſage des termes ? C’eſt ſans doute de ceux qui dans leurs Ecrits & dans leurs Diſcours paroiſſent avoir eu de plus claires notions des Choſes, & avoir employé les termes les plus choiſis & les plus juſtes pour les exprimer. A la vérité, malgré tout le ſoin qu’un homme prend de ne ſe ſervir des mots que ſelon l’exacte propriété du Langage, il n’a pas toûjours le bonheur d’être entendu : mais en ce cas-là, l’on en impute ordinairement la faute à celui qui a ſi peu de connoiſſance de ſa propre Langue qu’il ne l’entend pas, lors même qu’on l’employe conformément à l’uſage établi.

§. 12.Remede, déclarer en quel fin on prend les Mots. Mais parce que l’Uſage commun n’a pas ſi viſiblement attaché ce qu’ils ſignifient au juſte ; & parce que les hommes en perfectionnant leurs connoiſſances, viennent à avoir des idées qui différent des idées vulgaires, de ſorte que pour déſigner ces nouvelles idées, ils ſont obligez ou de faire de nouveaux mots, (ce qu’on hazarde rarement, de peur que cela ne paſſe pour affectation ou pour un déſir d’innover) ou d’employer des termes uſitez, dans un ſens tout nouveau : pour cet effet après avoir obſervé les Règles précedentes, je dis en quatriéme lieu, qu’il eſt quelquefois néceſſaire, pour fixer la ſignification des mots, de déclarer en quel ſens on les prend, lors que l’uſage commun les a laiſſez dans une ſignification vague & incertaine, (comme dans la plûpart des noms des Idées fort complexes) ou lorsqu’on s’en ſert dans un ſens un peu particulier, ou que le terme étant ſi eſſentiel dans le Diſcours que le principal ſujet de la Queſtion en dépend, il ſe trouve ſujet à quelque équivoque ou à quelque mauvaiſe interpretation.

§. 13.Ce qu’on peut faire en trois manieres. Comme les idées que nos mots ſignifient, ſont de différentes Eſpèces, il y a auſſi différens moyens de faire connoître dans l’occaſion les idées qu’ils ſignifient. Car quoi que la Définition paſſe pour la voye la plus commode de faire connoître la ſignification propre des Mots, il y a pourtant quelques mots qui ne peuvent être définis, comme il y en a d’autres dont on ne ſauroit faire connoître le ſens précis que par le moyen de la Définition ; & peut-être y en a-t-il une troiſiéme eſpèce qui participe un peu des deux autres, comme nous verrons en parcourant les noms des Idées ſimples, des Modes & des Subſtances.