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Des Noms des Subſtances. Liv. III.

Guinée ou du Perou, les engage auſſi à inventer un ſeul nom qui puiſſe comprendre l’Or, l’Argent & quelques autres Corps de différentes ſortes ; ce qu’on fait en omettant les qualitez qui ſont particuliéres à chaque Eſpèce, & en retenant une idée complexe, formée de celles qui ſont communes à toutes ces Eſpèces. Ainſi le nom de Metal leur étant aſſigné, voilà un Genre établi, dont l’eſſence n’eſt autre choſe qu’une idée abſtraite qui contenant ſeulement la malleabilité & la fuſibilité avec certains degrez de peſanteur & de fixité, en quoi quelques Corps de différentes eſpèces conviennent, laiſſe à part la couleur & les autres qualitez particuliéres à l’Or, à l’Argent & aux autres ſortes de Corps compris ſous le nom de Metal. D’où il paroît évidemment, que, lorſque les hommes forment leurs Idées génériques des Subſtances, ils ne ſuivent pas exactement les modèles qui leur ſont propoſez par la Nature ; puiſqu’on ne ſauroit trouver aucun Corps qui renferme ſimplement la malleabilité, & la fuſibilité ſans d’autres Qualitez, qui en ſoient auſſi inſéparables que celles-là. Mais comme les hommes en formant leurs idées générales, cherchent plûtôt la commodité du Langage, & le moyen de s’exprimer promptement, par des ſignes courts & d’une certaine étenduë, que de découvrir la vraye & préciſe nature des choſes, telles qu’elles ſont en elles-mêmes, ils ſe ſont principalement propoſé, dans la formation de leurs Idées abſtraites, cette fin, qui conſiſte à faire proviſion de nom généraux, & de différente étenduë. De ſorte que dans cette matiére des Genres & des Eſpèces, le Genre ou l’idée la plus étenduë n’eſt autre choſe qu’une conception partiale de ce qui eſt dans les Eſpèces, & l’Eſpèce n’eſt autre choſe qu’une idée partiale de ce qui eſt dans chaque Individu. Si donc quelqu’un s’imagine qu’un homme, un cheval, un animal, & une plante, &c. ſont diſtinguez par des eſſences réelles formées par la Nature, il doit ſe figurer la Nature bien liberale de ces eſſences réelles, ſi elle en produit une pour le Corps, une autre pour l’Animal, & l’autre pour un Cheval, & qu’il communique liberalement toutes ces eſſences à Bucephale. Mais ſi nous conſiderons exactement ce qui arrive dans la formation de tous ces Genres & de toutes ces Eſpèces, nous trouverons qu’il ne fait rien de nouveau, mais que ces genres & ces Eſpèces ne ſont autre choſe que des ſignes plus ou moins étendus, par où nous pouvons exprimer en peu de mots un grand nombre de choſes particuliéres, entant qu’elles conviennent dans des conceptions plus ou moins générales que nous avons formées dans cette vûë. Et dans tout cela nous pouvons obſerver que le terme le plus général eſt toûjours le nom d’une Idée moins complexe, & que chaque genre n’eſt qu’une conception partiale de l’Eſpèce qu’il comprend ſous lui. De ſorte que ſi ces Idées générales & abſtraites paſſent pour completes, ce ne peut être que par rapport à une certaine relation établie entre elles & certains noms qu’on employe pour les déſigner, & non à l’égard d’aucune choſe exiſtante, entant que formée par la Nature.

§. 33.Tout cela eſt adapté à la fin du Langage. Ceci eſt adapté à la véritable fin du Langage qui doit être de communiquer nos notions par le chemin le plus court & le plus facile qu’on puiſſe trouver. Car par ce moyen celui qui veut diſcourir des choſes entant