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Des Noms des Idées ſimples. Liv. III.

ſignifient qu’une ſimple perception, les hommes pour l’ordinaire s’accordent facilement & parfaitement ſur leur ſignification ; & ainſi, l’on n’y trouve pas grand ſujet de ſe méprendre, ou de diſputer. Celui qui fait une fois que la blancheur eſt le nom de la Couleur qu’il a obſervée dans la Neige ou dans le Lait, ne pourra guere ſe tromper dans l’application de ce mot, tandis qu’il conſerve cette idée dans l’Eſprit ; & s’il vient à la perdre entierement, il n’eſt plus ſujet à n’en prendre le vrai ſens, mais il apperçoit qu’il ne l’entend abſolument point. Il n’y a, dans ce cas, ni multiplicité d’Idées ſimples qu’il faille joindre enſemble, ce qui rend douteux les noms des Modes mixtes ; ni une eſſence, ſuppoſée réelle, mais inconnuë, accompagnée de propriétez qui en dépendent & dont le juſte nombre n’eſt pas moins inconnu, ce qui met de l’obſcurité dans les noms des Subſtances. Au contraire dans les Idées ſimples toute la ſignification du nom eſt connuë tout à la fois, & n’eſt point compoſée de parties, de ſorte qu’en mettant un plus grand ou un plus petit nombre de parties l’idée puiſſe varier, & que la ſignification du nom qu’on lui donne, puiſſe être par conſéquent obſcure & incertaine.

§. 16.V. Les Idées ſimples ont très peu de ſubordination dans ce que les Logiciens nomment Linea prædicametalis.
* Species infima.
Genus ſupremum.
On peut obſerver, en cinquiéme lieu, touchant les Idées ſimples & leurs noms, qu’ils n’ont que très-peu de ſubordinations dans ce que les Logiciens appellent Linea prædicamentalis, depuis la * derniére Eſpèce juſqu’au † Genre ſuprême. Et la raiſon, c’eſt que la derniere Eſpèce n’étant qu’une ſeule Idée ſimple, on n’en peut rien retrancher pour faire que ce qui la diſtingue des autres étant ôté, elle puiſſe convenir avec quelque autre choſe par une idée qui leur ſoit commune à toute deux, & qui n’ayant qu’un nom, ſoit le genre des deux autres : par exemple, on ne peut rien retrancher de l’idée du Blanc & du Rouge pour faire qu’elles conviennent dans une commune apparence, & qu’ainſi elles ayent un ſeul nom général, comme lorſque la faculté de raiſonner étant retranchée de l’idée complexe d’Homme, la fait convenir avec celle de Bête, dans l’idée & la dénomination plus générale d’Animal. C’eſt pour cela que, lorſque les hommes ſouhaitans d’éviter de longues & ennuyeuſes énumerations ont voulu comprendre le Blanc & le Rouge & pluſieurs autres ſemblables Idées ſimples ſous un nom général, ils ont été obligez de le faire par un mot qui exprime uniquement le moyen par où elles s’introduiſent dans l’eſprit. Car lorſque le Blanc, le Rouge & le Jaune ſont tous compris ſous le Genre ou le nom de Couleur, cela ne déſigne autre choſe que ces Idées entant qu’elles ſont produites dans l’Eſprit uniquement par la vûë, & qu’elles n’y entrent qu’à travers les yeux. Et quand on veut former un terme encore plus général qui comprenne les Couleurs, les Sons & ſemblables Idées ſimples, on ſe ſert d’un mot qui ſignifie toutes ces ſortes d’Idées qui ne viennent dans l’Eſprit que par un ſeul Sens ; & ainſi ſous le terme général de Qualité pris dans le ſens qu’on lui donne ordinairement on comprend les Couleurs, les Sons, les Goûts, les Odeurs & les Qualitez tactiles, pour les diſtinguer de l’Entenduë, du Nombre, du Mouvement, du Plaiſir & de la Douleur qui agiſſent ſur l’Eſprit & y introduiſent leurs idées par plus d’un Sens.

§. 17.Les noms des Idées ſimples emportent des idées qui ne ſont nullement arbitraires. En ſixiéme lieu, une différence qu’il y a entre les noms des Idées