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Des Vrayes & des Fauſſes Idées. Liv. II.

qui ſont juſtement telles qu’elles y paroiſſent, & qui répondent aux puiſſances que Dieu a établies pour leur production ; & ainſi elles ſont véritablement ce qu’elles ſont & qu’elles doivent être ſelon leur deſtination naturelle. L’on peut à la vérité appliquer mal-à-propos les noms de ces idées, comme ſi un homme qui n’entend pas bien le François, donnoit à la Pourpre le nom d’Ecarlate : mais cela ne met aucune fauſſeté dans les Idées mêmes.

§. 17.Les Idées des Modes ne peuvent l’être non plus. En ſecond lieu, nos idées complexes des Modes ne ſauroient non plus être fauſſes par rapport à l’eſſence d’une choſe réellement exiſtante. Parce que quelque idée complexe que je me forme d’un Mode, il n’a aucun rapport à un modèle exiſtant & produit par la Nature. Il n’eſt ſuppoſé renfermer en lui-même que les idées qu’il renferme actuellement, ni repréſenter autre choſe que cette combinaiſon d’Idées qu’il repréſente. Ainſi, quand j’ai l’idée de l’action d’un homme qui refuſe de ſe nourrir, de s’habiller, & de jouïr des autres commoditez de la vie ſelon que ſon Bien & ſes richeſſes le lui permettent, & que ſa condition l’exige, je n’ai point une fauſſe idée, mais une idée qui repréſente une action, telle que je la trouve, ou que je l’imagine ; & dans ce ſens elle n’eſt capable ni de vérité ni de fauſſeté. Mais lorſque je donne à cette action le nom de frugalité ou de vertu, elle peut alors être appellée une fauſſe idée, ſi je ſuppoſe par-là qu’elle s’accorde avec l’idée qu’emporte le nom de frugalité ſelon la proprieté du langage, ou qu’elle eſt conforme à la Loi qui eſt la meſure de la vertu & du vice.

§. 18.Quand c’eſt que les idées des Subſtances peuvent-être fauſſes. En troiſiéme lieu, nos Idées complexes des Subſtances peuvent être fauſſes, parce qu’elles ſe rapportent toutes à des modèles exiſtans dans les choſes mêmes. Qu’elles ſoient fauſſes, lorſqu’on les conſidére comme des repréſentations des Eſſences inconnuës des choſes, cela eſt ſi évident qu’il n’eſt pas néceſſaire de perdre du temps à le prouver. Sans donc m’arrêter à cette ſuppoſition chimerique, je vais conſidérer les Subſtances comme autant de collections d’Idées ſimples, formées dans l’Eſprit qui les déduit de certaines combinaiſons d’Idées ſimples qui exiſtent conſtamment enſemble dans les choſes mêmes, combinaiſons qui ſont les originaux dont on ſuppoſe que ces collections formées dans l’Eſprit, ſont des copies. Or à les conſiderer dans ce rapport qu’elles ont à l’exiſtence des choſes, elles ſont fauſſes, I. Lorſqu’elles réuniſſent des idées ſimples qui ne ſe trouvent point enſemble dans les choſes actuellement exiſtantes, comme lorſqu’à la forme & à la grandeur qui exiſtent enſemble dans un Cheval, on joint dans la même idée complexe la puiſſance d’abboyer qui ſe trouve dans un Chien : trois Idées qui, quoi que réunies dans l’Eſprit en une ſeule, n’ont jamais été jointes enſemble dans la Nature. On peut donc appeller cette Idée complexe, une fauſſe idée d’un Cheval. II. Les Idées des Subſtances ſont encore fauſſes à cet égard, lorſque d’une collection d’Idées ſimples qui exiſtent toûjours enſemble, on en ſepare par une négation directe & formelle, quelque autre idée ſimple qui leur eſt conſtamment unie. Si par exemple, quelqu’un joint dans ſon Eſprit à l’étenduë, à la ſolidarité, à la fuſibilité, à la peſanteur particuliére & à la couleur jaune de l’Or, la negation d’un plus grand degré de fixité, que dans le Plomb ou le Cuivre, on