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Des Relations Morales. Liv. II.

rales auxquelles les Hommes rapportent généralement leurs Actions, & par où ils jugent ſi elles ſont bonnes ou mauvaiſes ; & ces trois ſortes de Loix ſont ſoûtenuës par trois différentes eſpèces de récompenſe & de peine qui leur donnent de l’autorité. Car comme il ſeroit entiérement inutile de ſuppoſer une Loi impoſée aux Actions libres de l’Homme ſans être renforcée par quelque Bien ou quelque Mal qui pût déterminer la Volonté, il faut pour cet effet que par-tout où l’on ſuppoſe une loi, l’on ſuppoſe auſſi quelque peine ou quelque récompenſe attachée à cette Loi. Ce ſeroit en vain qu’un Etre Intelligent prétendroit ſoûmettre les actions d’un autre à une certaine règle, s’il n’eſt pas en ſon pouvoir de le récompenſer lorſqu’il ſe conforme à cette règle, & de le punir lorſqu’il s’en éloigne, & cela par quelque Bien ou par quelque Mal qui ne ſoit pas la production & la ſuite naturelle de l’action même : car ce qui eſt naturellement commode ou incommode agiroit de lui-même ſans le ſecours d’aucune Loi. Telle eſt, ſi je ne me trompe, la nature de toute Loi, proprement ainſi nommée.

§. 7.Combien de ſortes de Loix ? Voici, ce me ſemble, les trois ſortes de Loix auxquelles les Hommes rapportent en général leurs Actions, pour juger de leur droiture ou de leur obliquité : I. La Loi Divine : 2. La Loi Civile : 3. La Loi d’opinion ou de reputation, ſi j’oſe l’appeller ainſi. Lorſque les hommes rapportent leurs actions à la prémiére de ces Loix, ils jugent par-là ſi ce ſont des Péchez ou des Devoirs : en les rapportant à la ſeconde ils jugent ſi elles ſont criminelles ou innocentes ; & à la troiſiéme, ſi ce ſont des vertus ou des vices.

§. 8.La Loi Divine règle ce qui eſt péché ou devoir. Il y a, prémiérement, la Loi Divine, par où j’entens cette Loi que Dieu a preſcrite aux hommes pour régler leurs actions, ſoit qu’elle leur ait été notifiée par la Lumiére de la Nature, ou par voye de Revelation. Je ne penſe pas qu’il y ait d’homme aſſez groſſier pour nier que Dieu ait donné une telle règle par laquelle les hommes devroient ſe conduire. Il a droit de le faire, puiſque nous ſommes ſes créatures. D’ailleurs, ſa bonté & ſa ſageſſe le portent à diriger nos actions vers ce qu’il y a de meilleur ; & il eſt Puiſſant pour nous y engager par des récompenſes & des punitions d’un poids & d’une durée infinie dans une autre vie : car perſonne ne peut nous enlever de ſes mains. C’eſt la ſeule pierre-de-touche par où l’on peut juger de la Rectitude Morale ; & c’eſt en comparant leurs actions à cette Loi, que les hommes jugent du plus grand bien ou du plus grand mal moral qu’elles renferment, c’eſt-à-dire, ſi en qualité de Devoirs ou de Péchez elles peuvent leur procurer du bonheur ou du malheur de la part du Tout-puiſſant.

§. 9.La loi Civile eſt la règle du Crime & de l’Innocence. En ſecond lieu, la Loi Civile qui eſt établie par la Société pour diriger les actions de ceux qui en font partie, eſt une autre Règle à laquelle les hommes rapportent leurs actions pour juger ſi elles ſont criminelles ou non. Perſonne ne mépriſe cette Loi : car les peines & les récompenſes qui lui donnent du poids ſont toûjours prêtes, & proportionnées à la Puiſſance d’où cette Loi émane, c’eſt-à-dire, à la force même de la Société qui eſt engagée à défendre la vie, la liberté, & les biens de ceux qui vivent conformément à ces Loix, & qui a le pouvoir d’ôter à ceux qui les violent, la