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& de Diverſité. Liv. II.

en un certain moment dans un certain amas de Matiére, eſt diſtinguée dans ce compoſé particulier de toute autre organization, & conſtituë cette vie individuelle, qui exiſte continuellement dans ce moment, tant avant, qu’après, dans la même continuité de parties inſenſibles qui ſe ſuccedent les unes aux autres, unies au Corps vivant de la Plante, par où la Plante a cette identité qui la fait être la même Plante, qui fait que toutes ſes parties ſont les parties d’une même Plante, pendant tout le temps qu’elles exiſtent jointes à cette organization continuée, qui eſt propre à tranſmettre cette commune vie à toutes les parties ainſi unies.

§. 5.identité des Animaux. Le cas n’eſt pas ſi différent dans les Brutes que chacun ne puiſſe conclurre de là, que leur Identité conſiſte dans ce qui conſtituë un Animal & le fait continuer d’être le même. Il y a quelque choſe de pareil dans les Machines artificielles, & qui peut ſervir à éclaircir cet article. Car par exemple, qu’eſt-ce qu’une Montre ? Il eſt évident que ce n’eſt autre choſe qu’une organization ou conſtruction de parties, propre à une certaine fin, qu’elle eſt capable de remplir, lorſqu’elle reçoit l’impreſſion d’une force ſuffiſante pour cela. De ſorte que ſi nous ſuppoſions que cette Machine fût un ſeul Corps continu, dont toutes les parties organizées fuſſent reparées, augmentées, ou diminuées par une conſtante addition ou ſeparation de parties inſenſibles par le moyen d’une commune vie qui entretînt toutes la machine, nous aurions quelque choſe de fort ſemblable au Corps d’un Animal, avec cette différence, Que dans un Animal la juſteſſe de l’organization & du mouvement, en quoi conſiſte la vie, commence tout à la fois, le mouvement venant de dehors, manque ſouvent lorſque l’organe eſt en état & bien diſpoſé à en recevoir les impreſſions.

§. 6.Identité de l’Homme. Cela montre encore en quoi conſiſte l’Identité du même homme, ſavoir, en cela ſeul qu’il jouït de la même vie, continuée par des particules de Matiére qui ſont dans un flux perpetuel, mais qui dans cette ſucceſſion ſont vitalement unies au même Corps organizé. Quiconque attachera l’Identité de l’Homme à quelque autre choſe qu’à ce qui conſtituë celle des autres Animaux, je veux dire à un Corps bien organizé dans un certain inſtant, & qui dès lors continuë dans cette organization vitale par une ſucceſſion de diverſes particules de Matiére qui lui ſont unies, aura de la peine à faire qu’un Embryon, un homme âgé, un fou & un ſage ſoient le même homme en vertu d’une ſuppoſition d’où il ne s’enſuive qu’il eſt poſſible que Seth, Iſmaël, Socrate, Pilate, St. Auguſtin, & Céſar Borgia ſont un ſeul & même homme. Car ſi l’Identité de l’Ame ſait toute ſeule qu’un homme eſt le même, & qu’il n’y aît rien dans la nature de la Matiére qui empêche qu’un même Eſprit individuel ne puiſſe être uni à différens Corps, il ſera fort poſſible que ces hommes qui ont vécu en différens ſiécles & ont été d’un temperament différent, ayent été un ſeul & même homme : façon de parler qui ſeroit fondée ſur l’étrange uſage qu’on feroit du mot homme en l’appliquant à une idée dont on exclurroit le Corps & la forme extérieure. Cette maniére de parler s’accorderoit encore plus mal avec les notions de ces Philoſophes qui reconnoiſſant la Tranſmigration, croyent que les Ames