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De la Cauſe & de l'Effet.

vant. Les Choſes qui reçoivent ainſi une exiſtence qu’elles n’avoient pas auparavant, ſont des Effets ; & celles qui procurent cette exiſtence, ſont des Cauſes. Nous pouvons obſerver dans ce cas-là & dans tous les autres, que la notion de Cauſe & d’Effet tire ſon origine des Idées qu’on a reçuës par Senſation ou par Reflexion, & qu’ainſi ce Rapport, quelque étendu qu’il ſoit, ſe termine enfin à ces ſortes d’Idées. Car pour avoir les Idées de Cauſe & d’Effet, il ſuffit de conſiderer quelque idée ſimple ou quelque Subſtance comme commençant d’exiſter par l’opération de quelque autre choſe, quoi qu’on connoiſſe la maniére dont ſe fait cette opération.

§. 3.Les Relations fondées ſur le Temps. Le Temps & le Lieu ſervent auſſi de fondement à des Relations fort étenduës, auxquelles ont part tous les Etres finis pour le moins. Mais comme j’ai déja montré ailleurs, de quelle maniére nous acquérons ces Idées, il ſuffira de faire remarquer ici, que la plûpart des dénominations des choſes, fondées ſur le temps, ne ſont que de pures Relations. Ainſi, quand on dit, que la Reine Elizabeth a vécu ſoixante-neuf ans, & en a regné quarante-cinq, ces mots n’emportent autre choſe qu’un rapport de cette Durée avec quelque autre Durée, & ſignifie ſimplement que la Durée de l’exiſtence de cette Princeſſe étoit égale à ſoixante-neuf Revolutions annuelles du Soleil, & la Durée de ſon Gouvernement à quarante-cinq de ces mêmes Revolutions ; & tels ſont tous les mots par lesquels on répond à cette Queſtion, Combien de temps ? De même, quand je dis, Guillaume le Conquerant envahit l’Angleterre environ l’an 1070. Cela ſignifie qu’en prenant la Durée depuis le temps de notre Sauveur jusqu’à préſent pour une longueur entiere de temps, il paroit à quelle diſtance de ces deux extrémitez fut faite cette Invaſion. Il en eſt de même de tous les termes deſtinez à marquer le temps, qui répondent à la Queſtion, Quand ? lesquels montrent ſeulement la diſtance de tel ou tel point de temps, d’avec une Période d’une plus longue Durée, d’où nous meſurons, & à laquelle nous conſiderons par-là que ſe rapporte cette diſtance.

§. 4. Outre ces termes Relatifs qu’on employe pour déſigner le Temps, il y en a d’autres qu’on regarde ordinairement comme ne ſignifiant que des Idées poſitives, qui cependant, à les bien conſiderer, ſont effectivement Relatifs, comme, jeune, vieux, &c. qui renferment & ſignifient le rapport qu’une choſe a avec une certaine longueur de Durée, dont nous avons l’idée dans l’Eſprit. Ainſi, après avoir poſé en nous-mêmes, que l’idée de la Durée ordinaire d’un homme comprend ſoixante-dix ans, lorsque nous diſons qu’un homme eſt jeune, nous entendons par là, que ſon âge n’eſt encore qu’une petite partie de la Durée à laquelle les hommes arrivent ordinairement ; & quand nous diſons qu’il eſt vieux, nous voulons donner à entendre que ſa Durée eſt presque arrivée à la fin de celle que les hommes ne paſſent point ordinairement. Et par-là on ne fait autre choſe que comparer l’âge ou la durée particulière de tel ou tel homme avec l’idée de la Durée que nous jugeons appartenir ordinairement à cette eſpèce d’Animaux. C’eſt ce qui paroit évidemment dans l’application que nous faiſons de ces noms à d’autres choſes. Car un Homme eſt appellé jeune à l’âge de vingt