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De la Puiſſance. Liv. II.

peller [1] Cohibition. Quant aux Agents qui n’ont abſolument ni penſée ni volition, ce ſont des Agents néceſſaires à tous égards.

§. 14.La Liberté n’appartient pas à la Volonté. Si cela eſt ainſi, comme je le croi ; qu’on voye, ſi, en prenant la choſe de cette manière, l’on ne pourroit point terminer la Queſtion agitée depuis ſi long-temps, mais très-abſurde, à mon avis, puiſqu’elle eſt inintelligible, Si la volonté de l’homme eſt libre, ou non. Car de ce que je viens de dire, il s’enſuit nettement, ſi je ne me trompe, que cette Queſtion conſiderée en elle-même, eſt très-mal conçuë, & que demander à un homme ſi ſa volonté eſt libre, c’eſt tomber dans une auſſi grande abſurdité, que ſi l’on lui demandoit ſi ſon ſommeil eſt rapide, ou ſa vertu quarrée ; parce que la Liberté peut être auſſi peu appliquée à la Volonté, que la rapidité du mouvement du Sommeil, ou la figure quarrée de la Vertu. Tout le monde voit l’abſurdité de ces deux derniéres Queſtions ; & qui les entendroit propoſer ſerieuſement, ne pourroit s’empêcher d’en rire : parce que chacun voit ſans peine, que les modifications du Mouvement n’appartiennent point au Sommeil, ni la difference de figure à la Vertu. Je croi de même, que quiconque voudra examiner la choſe avec ſoin, verra tout auſſi clairement, que la Liberté qui n’eſt qu’une Puiſſance, appartient uniquement à des Agents, & ne ſauroit être un attribut ou une modification de la Volonté, qui n’eſt en elle-même rien autre choſe qu’une Puiſſance.

§. 15.De la Volition. La difficulté d’exprimer par des ſons les actions intérieures de l’Eſprit, pour en donner par-là des Idées claires aux autres, eſt ſi grande, que je dois avertir ici mon Lecteur, que les mots ordonner, diriger, choiſir, préferer, &c. dont je me ſuis ſervi dans cette rencontre, ne font pas comprendre aſſez diſtinctement ce qu’il faut entendre par volition, à moins que ceux qui liront ce que je dis ici, ne prennent la peine de reflechir ſur ce qu’ils font eux-mêmes quand ils veulent. Par exemple, le mot de préference qui ſemble peut-être le plus propre à exprimer l’acte de la volition, ne l’exprime pourtant pas préciſément : car quoi qu’un homme préferât de voler à marcher, on ne peut pourtant pas dire qu’il veuille jamais voler. La Volition eſt viſiblement un Acte de l’Eſprit exerçant avec connoiſſance, l’empire qu’il ſuppoſe avoir ſur quelque partie de l’Homme pour l’appliquer à quelque action particulière, ou pour l’en détourner. Et qu’eſt-ce que la Volonté ſinon la Faculté de produire cet Acte ? Et cette Faculté n’eſt en effet autre choſe que la Puiſſance que notre Eſprit a de déterminer ſes penſées à la production, à la continuation ou à la ceſſation d’une Action, autant que cela dépend de nous : Car on ne peut nier que tout Agent qui a la puiſſance de penſer à ſes propres actions, & de préferer l’exécution d’une choſe à l’omiſſion de cette choſe, ou au contraire, on ne peut nier qu’un tel Agent n’ait la Faculté qu’on nomme Volonté. La Volonté n’eſt donc autre choſe qu’une telle puiſſance. La Liberté, d’autre part, c’eſt la puiſſance qu’un Homme a de faire ou de ne pas faire quelque Action particulière, conformément à la préference actuel-

  1. Ce mot n’eſt pas François, mais je m’en ſers faute d’autre, car, ſi je ne me trompe, nous n’en avons aucun pour exprimer cette idée. En effet, le P. Tachart dans ſon Dictionnaire Latin & François n’a pû bien expliquer le terme Latin cohibitio, que par cette periphraſe, l’Action d’empêcher qu’on ne faſſe quelque choſe.