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De la Puiſſance. Liv. II.

prompt à ſe le figurer, je ne croi pas qu’il ſoit mal d’avoir fait ſentir par cette reflexion jettée ici en paſſant, qu’on ne peut avoir l’idée la plus claire de ce qu’on nomme Puiſſance active qu’en s’élevant juſqu’à la conſideration de Dieu & des Eſprits.

§. 3.La Puiſſance renferme quelque relation. J’avoûë que la Puiſſance renferme en ſoi quelque eſpèce de relation à l’action, ou au changement. Et dans le fond à examiner les choſes avec ſoin, quelle idée avons-nous, de quelque eſpèce qu’elle ſoit, qui n’enferme quelque relation ? Nos Idées de l’Etenduë, de la Durée & du Nombre, ne contiennent-elles pas toutes en elles-mêmes un ſecret rapport de parties ? La même choſe ſe remarque d’une maniére encore plus viſible dans la Figure & le Mouvement. Et les Qualitez ſenſibles, comme les Couleurs, les Odeurs, &c. que ſont-elles que des Puiſſances de différens Corps par rapport à notre Perception, &c ? Et ſi l’on les conſidere dans les choſes memes, ne dépendent-elles pas de la groſſeur, de la figure, de la contexture, & du mouvement des parties, ce qui met une eſpèce de rapport entre elles ? Ainſi, notre Idée de la Puiſſance peut fort bien être placée, à mon avis, parmi les autres Idées ſimples, & être conſiderée comme de la même eſpèce, puiſqu’elle eſt du nombre de celles qui compoſent en grand’ partie nos Idées complexes des Subſtances, comme nous aurons occaſion de le faire voir dans la ſuite.

§. 4.La plus claire idée de la Puiſſance active nous vient de l’Eſprit. Il n’y a preſque point d’eſpèce d’Etres ſenſibles, qui ne nous fourniſſe amplement l’idée de la Puiſſance paſſive ; car ne pouvant nous empêcher d’obſerver dans la plûpart, que leurs Qualitez ſenſibles & leurs Subſtances mêmes ſont dans un flux continuel, c’eſt avec raiſon que nous conſiderons ces Etres comme conſtamment ſujets au même changement. Nous n’avons pas moins d’exemples de la Puiſſance active, qui eſt ce que le mot Puiſſance emporte plus propement : car quelque changement qu’on obſerve, l’Eſprit en doit conclurre qu’il y a, quelque part, une Puiſſance capable de faire ce changement, auſſi bien qu’une diſpoſition dans la choſe même à la recevoir. Cependant, ſi nous y prenons bien garde, les Corps ne nous fourniſſent pas, par le moyen des Sens, une idée ſi claire & ſi diſtincte de la Puiſſance active, que celle que nous en avons par les reflexions que nous faiſons ſur les operations de notre Eſprit. Comme toute Puiſſance à du rapport à l’Action ; & qu’il n’y a, je croi, que deux ſortes d’Actions dont nous ayions d’idée, ſavoir Penſer, & Mouvoir, voyons d’où nous avons l’idée la plus diſtincte des Puiſſances qui produiſent ces Actions. I. Pour ce qui eſt de la Penſée, le Corps ne nous en donne aucune idée ; & ce n’eſt que par le moyen de la Reflexion que nous l’avons. II. Nous n’avons pas non plus, par le moyen du Corps, aucune idée du commencement du Mouvement. Un Corps en repos ne nous fournit aucune idée d’une Puiſſance active capable de produire du Mouvement. Et quand le Corps lui-même eſt en mouvement, ce mouvement eſt dans le Corps une paſſion plûtôt qu’une Action, car lorſqu’une boule de Billard cede au choc du Bâton, ce n’eſt point une action de la part de la boule, mais une ſimple paſſion. De même, lorſqu’elle vient à pouſſer une autre boule qui ſe trouve ſur ſon chemin, & la met en mouvement, elle ne fait que lui communiquer le