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Autres Conſiderations

dès-là comme autant de Corps diſtincts, ſont un certain nombre déterminé, après que la diviſion eſt finie. Ces qualitez du Corps qui n’en peuvent être ſéparées, je les nomme qualitez originales & prémiéres, qui ſont la ſolidité, l’étenduë, la figure, le nombre, le mouvement, ou le repos, & qui produiſent en nous des idées ſimples, comme chacun peut, à mon avis, s’en aſſurer par ſoi-même.

§. 10.Comment les prémiéres Qualitez produiſent les idées en nous. Il y a, en ſecond lieu, des qualitez qui dans les Corps ne ſont effectivement autre choſe que la puiſſance de produire diverſes ſenſations en nous par le moyen de leurs prémiéres qualitez, c’eſt-à-dire, par la groſſeur, figure, contexture & mouvement de leurs parties inſenſibles, comme ſont les Couleurs, les Sons, les Goûts, &c. Je donne à ces qualitez le nom de ſecondes qualitez : auxquelles on peut ajoûter une troiſiéme éſpèce, que tout le monde s’accorde à ne regarder que comme une puiſſance que les Corps ont de produire tels & tels effets, quoique ce ſoient des qualitez auſſi réelles dans le ſujet que celles que j’appelle qualitez, pour m’accommoder à l’uſage communément reçu, mais que je nomme ſecondes qualitez pour les diſtinguer de celles qui ſont réellement dans les Corps, & qui n’en peuvent être ſéparées. Car par exemple la puiſſance qui eſt dans le Feu, de produire par le moyen de ſes prémiéres qualitez une nouvelle couleur ou une nouvelle conſiſtence dans la cire ou dans la boûë, eſt autant une qualité dans le Feu, que la puiſſance qu’il a de produire en moi, par les mêmes qualitez, c’eſt-à-dire, par la groſſeur, la contexture & le mouvement de ſes parties inſenſibles, une nouvelle idée ou ſenſation de chaleur ou de brûlure que je ne ſentois pas auparavant.

§.11. Ce que l’on doit conſiderer après cela, c’eſt la maniére dont les Corps produiſent des idées en nous. Il eſt viſible, du moins autant que nous pouvons le concevoir, que c’eſt uniquement par impulſion.

§. 12. Si donc les Objets extérieurs ne s’uniſſent pas immédiatement à l’Ame lors qu’ils y excitent des idées : & que cependant nous appercevions ces Qualitez originales dans ceux de ces Objets qui viennent à tomber ſous nos Sens, il eſt viſible qu’il doit y avoir, dans les Objets extérieurs, un certain mouvement, qui agiſſant ſur certaines parties de notre Corps, ſoit continué par le moyen des Nerfs ou des Eſprits animaux, juſques au Cerveau, ou au ſiége de nos Senſations, pour exciter là dans notre Eſprit les idées particuliéres que nous avons de ces Prémiéres Qualitez. Ainſi, puiſque l’Etenduë, la figure, le nombre & le mouvement des Corps qui ſont d’une groſſeur propre à frapper nos yeux, peuvent être apperçus par la vûë à une certaine diſtance, il eſt évident, que certains petits Corps imperceptibles doivent venir de l’Objet que nous regardons, juſqu’aux yeux, & par-là communiquer au Cerveau certains mouvemens qui produiſent en nous les idées que nous avons de ces différentes Qualitez.

§. 13.Comment les Secondes Qualitez excitent en nous des Idées. Nous pouvons concevoir par même moyen, comment les idées des Secondes Qualitez ſont produites en nous, je veux dire par l’action de quelques particules inſenſibles ſur les Organes de nos Sens. Car il eſt évident qu’il y a un grand amas de Corps dont chacun eſt ſi petit, que nous ne pouvons en découvrir, par aucun, de nos Sens, la groſſeur, la figure & le mouvement, comme il paroit par les particules de l’Air & de l’Eau, &