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HISTOIRE DE LA COMMUNE DE 1871

comme s’ils cachaient la victoire. La réaction leur a fait un crime des incendies comme si, dans la guerre, le feu n’est pas une arme toute naturelle, comme si les obus versaillais n’avaient pas allumé autant de maisons que ceux des fédérés, comme si la spéculation, l’avidité, le crime de certains honnêtes gens n’avaient pas une part dans les ruines [1]. Et ce même bourgeois qui parlait de « tout brûler » pendant le siège traitait maintenant de scélérat ce peuple qui préférait s’ensevelir sous les décombres plutôt que d’abandonner sa famille, sa conscience, sa raison de vie.

Qu’es-tu donc, ô patriotisme, sinon de défendre ses lois, ses mœurs et son foyer contre d’autres dieux, d’autres lois, d’autres mœurs qui veulent nous courber sous leur joug ? Et Paris républicain combattant pour la République et les réformes sociales n’était-il pas aussi ennemi de Versailles féodal qu’il l’était des Prussiens, que les Espagnols et les Russes le furent des soldats de Napoléon Ier ?

À onze heures du soir, deux officiers entrent dans la chambre où travaille Delescluze et lui apprennent l’exécution des otages. Il écoute sans cesser d’écrire, le récit qu’on lui fait d’une voix saccadée et dit seulement : « Comment sont-ils morts ? » Quand les officiers sont partis, Delescluze se tourne vers l’ami qui travaille avec lui et, cachant sa figure dans ses mains : « Quelle guerre ! dit-il, quelle guerre ! » Mais il connaît trop les révolutions pour se perdre en lamentations inutiles, et, dominant ses pensées, il s’écrie : « Nous saurons mourir ! »

Pendant la nuit, les dépêches se succèdent sans relâche, toutes réclamant des canons et des hommes sous menace d’abandonner telle ou telle position. Où trouver des canons ? Et les hommes deviennent aussi rares que le bronze.

  1. Appendice XXI.