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sera facile de la conquérir, et l’Égypte même, étant les arbitres de la mer. Ainsi, n’ayant plus rien à craindre pour notre pays, nous pourrons avec plus de gloire ct d’assurance entreprendre la conquête de la Perse. »

Voilà, en peu de mots, tout le grand projet d’Alexandre pour la conquête de l’Asie. Par les mesures qu’il prend, il peut porter son armée si loin qu’il voudra, ses derrières et sa communication avec la Grèce seront toujours assurés ; ainsi il ne faut plus regarder sa guerre contre Darius comme différente de celle que ferait un roi de Phénicie qui rait de proche en proche attaquer le roi de Babylone. Il n’y a qu’à regarder la carte générale pour être persuadé de cette vérité.

Dans tous les temps ceux qui ont entrepris des conquêtes en avant, sans prendre les mêmes sûretés qu’Alexandre pour assurer les siennes, dès qu’ils ont connu que l’ennemi était assez fort pour se mettre entre eux et leur pays, ont été obligés de les abandonner pour s’en rapprocher, et souvent contraints de donner bataille, et de s’exposer à tout perdre. Nous en avons bien des exemples dans nos histoires, et même de nos jours.

Pour exécuter le projet dont il s’agit, c’est Alexandre qui, avec une armée aguerrie, depuis longtemps disciplinée, armée avantageusement, passe l’Hellespont ; l’usage des phalanges macédoniennes, qui pour lors était l’ordre le plus fort, joint à l’arrangement qu’Alexandre savait faire de toutes ses troupes pour former l’ordre de bataille général de son armée, science qu’il avait acquise par des règles et principes, ainsi qu’il était d’usage chez les Grecs, tous cés avantages le rendaient comme assuré de la victoire contre des nations al armées, et qui ne savaient pas se mettre en bataîlle ; aussi voyons-nous qu’il perd peu de monde dans les combats.

Ainsi il n’y a rien de téméraire ni de trop hasardé dans son ’entreprise pour la conquête de l’Asie, et rien qui, dans un bon conseil, ne puisse être approuvé de tous ceux qui y au- raient été appelés, si le projet y est aussi bien rapporté et entendu qu’il est bien concerté.

Quand Philippe mourut, Alexandre n’avait encore que vingt ans, et à vingt-six, par sa grande capacité, il avait, avec une petite armée, gagné trois batailles contre Darius et conquis l’Asie ; ainsi l’on peut dire que ce n’est pas à une longue expérience qu’il faut attribuer la science et la conduite d’Alexandre dans la guerre, mais à une grande étude et application, jointe à son génie et aux talens distingués que la nature avait réunis dans sa personne.

Par la lecture que j’ai faite d’Arrien, voici comme j’ai compris le dessein d’Alexandre pour faire la conquête de l’Asie. Ce projet a eu pour fondement de commencer, après le passage de l’Hellespont, par faire la conquête de toutes les villes maritimes des côtes de l’Asie et de l’Égypte, dont la plupart étaient sans fortifications, afin d’ôter par là aux Perses le pouvoir d’avoir une flotte dans la Méditerranée. Par ce moyen Alexandre assure la communication de son armée dans l’Asie avec la Grèce pour en tirer les secours nécessaires. Ainsi, dès qu’il a passé l’Hellespont, il suit ce projet ; il bat les Perses au passage du Granique ; au lieu de les poursuivre comme aurait pu le faire un jeune conquérant qui suit son courage plutôt que la voie qui conduit à l’exécution de son dessein, il occupe son armée à faire la conquête