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victoire. Le succès fut assuré, lorsque cette présomption qui formait la base de son caractère, vint en aide à Mathilde. Le moine réfléchit qu’il y avait infiniment plus de mérite à vaincre la tentation qu’à l’éviter ; il pensa qu’il devait plutôt se réjouir de l’occasion qui lui était offerte de prouver la fermeté de sa vertu. Saint Antoine avait bien résisté à toutes les séductions de la volupté, pourquoi lui aussi n’y résisterait-il pas ? D’ailleurs saint Antoine était tenté par le diable, qui mettait en jeu toutes les ruses de l’enfer pour exciter ses passions, tandis qu’Ambrosio n’avait à redouter qu’une simple mortelle, craintive et pudique, qui n’appréhendait pas moins que lui de le voir succomber.

« Oui, » dit-il, « l’infortunée restera ; je n’ai rien à craindre de sa présence : quand même ma propre innocence deviendrait trop faible pour combattre la tentation, celle de Mathilde me préserve de tout danger. »

Ambrosio avait encore à apprendre que, pour un cœur qui n’en a pas l’expérience, le vire est toujours plus dangereux lorsqu’il se cache derrière le masque de la vertu.

Il se trouva si parfaitement rétabli que, lorsque le père Pablos revint le soir, il lui demanda à quitter la chambre le lendemain ; cette permission lui fut accordée. Mathilde ne reparut plus de la soirée, excepté en compagnie des moines, lorsqu’ils vinrent en corps s’informer de la santé du supérieur ; elle semblait craindre de se trouver seule avec lui, et ne resta que quelques minutes dans la chambre. Le prieur dormit bien : mais les songes de la nuit précédente se renouvelèrent, et les sensations voluptueuses furent encore plus intenses et plus exquises. Les mêmes visions excitantes flottaient devant ses yeux : Mathilde, dans tout l’éclat de la beauté, chaude, tendre et lascive, le pressait contre son cœur, et lui prodiguait les plus ardentes