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Comme il jugeait nécessaire de conserver ses bonnes grâces, il tâcha de la consoler de ce désappointement en faisant un peu violence à la vérité.

« Ah ! señora, » répondit-il d’une voix mélancolique, « quel chagrin il aura d’avoir perdu cette occasion de vous présenter ses respects ! La maladie d’un de ses parents l’a obligé de quitter Madrid en toute hâte ; mais assurément il emploiera avec transport le premier instant de son retour pour se venir mettre à vos pieds. »

Comme il parlait ses yeux rencontrèrent ceux d’Elvire : il fut suffisamment puni de sa fausseté par le regard de déplaisir et de reproche qu’elle lui lança, et par le peu de succès qu’eut son mensonge auprès de Léonella, qui, contrariée et mécontente, se leva de son siège et se retira furieuse dans son appartement.

Lorenzo s’empressa de réparer la faute qui lui avait nui dans l’opinion d’Elvire. Il lui rendit compte de l’entretien qu’il avait eu sur elle avec le marquis ; il l’assura que Raymond était disposé à la reconnaître pour la veuve de son frère, et se dit chargé par lui de le suppléer jusqu’à ce que celui-ci pût venir leur rendre ses devoirs en personne. Cette nouvelle soulagea Elvire d’un grand poids. Elle avait trouvé un protecteur qui tiendrait lieu de père à sa fille, dont la destinée future lui avait donné de si vives appréhensions. Elle ne fut pas avare de remerciements pour celui qui lui avait prêté sa généreuse entremise ; mais elle ne l’invita pas à renouveler sa visite. Cependant, lorsqu’en se levant pour partir il sollicita la permission de s’informer quelquefois de leurs nouvelles, son empressement poli, la reconnaissance de ses services et le respect dû à son ami le marquis interdirent le refus. Il fallut bien consentir à le recevoir : il promit de ne point abuser de leurs bontés et quitta la maison.