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guérir, et il vous serait aussi facile de me dépersuader d’aimer, qu’à moi de vous dépersuader d’écrire. Toutefois, si vous ne pouvez vous empêcher de succomber de temps en temps à un paroxysme poétique, ayez du moins la précaution de ne communiquer vos vers qu’aux gens dont la partialité vous garantira l’approbation. »

« Ainsi, monseigneur, vous ne trouvez pas ces vers passables ? » dit Théodore d’un air humble et contrit.

« Je ne dis pas cela. Je vous le répète, ils m’ont beaucoup plu ; mais l’intérêt que je vous porte me rend partial, et d’autres pourraient les juger moins favorablement. Je dois ajouter que même ma prévention pour vous ne m’aveugle pas tellement que je ne remarque plusieurs fautes. Par exemple, vous faites une terrible confusion de métaphores ; vous êtes trop disposé à faire plutôt consister la force de vos vers dans les mots que dans le sens ; il y en a qui ne sont mis là que pour la rime, et la plupart des meilleures idées sont empruntées à d’autres poètes, sans que vous-même peut-être ayez conscience de votre larcin. Ces fautes peuvent quelquefois s’excuser dans un ouvrage de longue haleine, mais un poème court doit être correct et parfait, »

« Tout cela est vrai, señor ; mais vous considérerez que je n’écris que pour mon plaisir. »

« Vos défauts en sont moins excusables. On peut pardonner l’incorrection à ceux qui écrivent pour de l’argent, qui sont obligés d’achever une tâche prescrite dans un délai donné, et qui sont payés d’après le volume et non d’après la valeur de leurs productions ; mais quant à ceux qu’aucune nécessité ne force à se faire auteurs, qui n’écrivent que pour leur réputation, et qui ont tout le loisir de polir leurs compositions, leurs fautes sont impar-