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sion de voir la baronne debout près de moi, brûlant de jalousie, et presque suffoquée de rage ! Revenue de son évanouissement, elle avait mis son esprit à la torture pour découvrir sa rivale cachée ; nulle plus qu’Agnès ne parut mériter ses soupçons. Elle se hâta d’aller trouver sa nièce pour lui reprocher d’encourager mes attentions, et s’assurer si ses conjectures étaient fondées. Par malheur, elle en avait assez vu pour n’avoir plus besoin d’une autre confirmation. Elle arriva à la porte de la chambre précisément au moment où Agnès me donnait son portrait. Elle m’entendit jurer un amour éternel à sa rivale, aux pieds de qui j’étais. Elle avança pour nous séparer : nous étions trop occupés l’un de l’autre pour remarquer son arrivée, et nous ne nous en aperçûmes que lorsque Agnès la vit debout à mon côté.

« La fureur de doña Rodolpha et mon embarras nous tinrent quelque temps silencieux l’un et l’autre. La dame, la première, recouvra la parole.

« Mes soupçons étaient donc justes ! » dit-elle ; « la coquetterie de ma nièce a triomphé, et c’est à elle que je suis sacrifiée ! Sous un rapport, du moins, je suis heureuse ; je ne serai pas seule à pleurer de regrets. Vous aussi, vous saurez ce que c’est que d’aimer sans espoir ! J’attends tous les jours l’ordre de renvoyer Agnès à ses parents. Dès son arrivée en Espagne, elle prendra le voile, et mettra entre elle et vous une barrière insurmontable. Épargnez-vous les supplications, » continua-t-elle en voyant que j’allais parler ; « ma résolution est fixe et immuable. Votre maîtresse restera prisonnière dans sa chambre jusqu’à ce qu’elle échange ce château contre le cloître. La solitude la rappellera peut-être au sentiment de son devoir ; mais pour prévenir de votre part tout obstacle à cet événement désiré, je dois vous an-