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la plus implacable, telle était la baronne Lindenberg.

« Je travaillais sans relâche à lui plaire : hélas ! je n’y réussis que trop. Elle paraissait flattée de mes prévenances, et me traitait avec une distinction toute particulière. Une de mes occupations journalières était de lui faire des lectures pendant des heures entières ; ces heures, j’aurais bien mieux aimé les passer avec Agnès ; mais, persuadé que cette complaisance pour sa tante avancerait notre union, je me soumettais de bonne grâce à la pénitence qui m’était imposée. La bibliothèque de doña Rodolpha se composait principalement de vieux romans espagnols ; c’était son étude favorite, et une fois par jour elle me mettait régulièrement aux mains un de ces impitoyables volumes. Je lisais les assommantes aventures de Perceforest, Tyrant le blanc, Palmerin d’Angleterre et du Chevalier du Soleil, jusqu’à ce que d’ennui le livre fût près de me tomber des mains. Cependant, le plaisir croissant que la baronne semblait prendre dans ma société, m’encourageait à persévérer ; et elle finit par me témoigner une partialité si marquée, qu’Agnès me conseilla de saisir la première occasion de déclarer à sa tante notre passion mutuelle.

« Un soir, j’étais seul avec doña Rodolpha dans son appartement. Comme l’amour était en général le sujet de nos lectures, Agnès n’avait jamais la permission d’y assister. J’étais en train de me féliciter d’avoir fini les amours de Tristan et de la reine Iseult

« Oh ! les infortunés ! » s’écria la baronne : « qu’en dites-vous, seigneur ? croyez-vous qu’il y ait un homme capable d’éprouver un attachement aussi désintéressé et aussi sincère ? »

« Je n’en doute pas, » répondis-je ; « mon propre cœur m’en donne la certitude. Ah ! doña Rodolpha ; si je pouvais espérer de vous voir approuver mon amour ! si je pou-