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quelque distance, et où Marguerite avait rincé les gobelets, et feignant de cracher le vin avec dégoût, je profitai de l’occasion pour le vider dans le vase sans être aperçu.

« Les brigands parurent alarmés de mon action. Jacques se leva à demi de sa chaise, porta la main à sa poitrine, et je découvris le manche d’un poignard. Je revins tranquillement à mon siège, et j’eus l’air de ne pas avoir remarqué leur trouble.

« Vous n’avez pas rencontré mon goût, honnête ami, » dis-je en m’adressant à Baptiste : « je n’ai jamais pu boire de vin de Champagne sans qu’il m’incommodât violemment. Je viens d’en avaler plusieurs gorgées avant d’en reconnaître la nature, et j’ai bien peur de payer cher cette imprudence. »

« Baptiste et Jacques échangèrent des regards d’incrédulité.

« Peut-être, » dit Robert, « l’odeur vous en est désagréable ? »

« Il quitta sa chaise, et ôta mon gobelet ; je remarquai qu’il examinait s’il était à peu près vide.

« Il doit avoir bu suffisamment, » dit-il tout bas en se rasseyant.

« Marguerite paraissait craindre que je n’eusse goûté de cette liqueur : je la rassurai d’un coup d’œil.

« J’attendais avec anxiété les effets que le breuvage produirait sur la dame. Je ne doutais pas que les grains de poudre que j’y avais observés ne fussent du poison, et je déplorais l’impossibilité où j’avais été de la prévenir du danger. Mais peu de minutes s’étaient écoulées lorsque je vis ses yeux s’appesantir ; sa tête s’affaissa sur son épaule, et elle tomba dans un profond sommeil. Je feignis de ne pas m’en apercevoir, et je continuai ma conversation avec Baptiste, d’un air aussi gai que possible. Mais