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ponctuellement exécutés : il alla de nouveau l’année suivante à la Jamaïque.

Ce fut en 1818, au retour de ce second voyage qui avait fort altéré sa santé, qu’il mourut sur mer au moment où il traversait le golfe de la Floride. Mais que les sectateurs de l’absentéisme ne se fassent pas de cette mort un argument pour justifier leur égoïsme ; car, à ce qu’il paraît, ce n’est point le climat, c’est une idée fausse qui a tué Lewis. Contre tout avis, il persista à prendre chaque jour de l’émétique pour se préserver du mal de mer. C’était deviner l’homéopathie. Or, sans vouloir dénigrer ce système médical, nous le croyons destiné à faire plus de victimes, nous ne disons pas que la philanthropie, mais que l’humanité.

Sous le titre de Journal d’un propriétaire de l’Inde occidentale, Lewis a écrit une relation intéressante de son voyage à la Jamaïque ; et cette relation, qui est restée quinze ans sans être publiée, contient de curieux et rassurants détails sur la position des nègres, constate le bien et le mal avec impartialité, et abonde en idées excellentes, assaisonnées d’un enjouement spirituel.

Mais, quel que soit le mérite de cette publication posthume, qu’on loue volontiers en Angleterre aux dépens de son aînée, quel qu’ait été le succès des divers autres ouvrages de Lewis, le Moine est resté son titre populaire : il est même devenu son prénom, Monk Lewis (le Moine Lewis). L’enfant, chose bizarre, se trouve être le parrain de son père ; et ce baptême, la postérité l’a déjà confirmé. Lewis sera toujours Monk Lewis, non pas seulement parce que le public, lorsqu’il a classé un écrivain, se donne rarement la peine de réviser ses arrêts, mais parce que, après nombre d’imitations plus ou moins illustres et plus ou moins flagrantes, le Moine est resté aux premiers rangs de l’école satanique, grâce à la terreur grandiose de l’ensemble, à la peinture énergique des passions, et en particulier à la conception du rôle habilement gradué de Mathilde, ce démon séduisant, dont la mission est de corrompre le prieur.

Les ouvrages de mérite n’ont que trop souvent de la peine à percer : ne les laissons point retomber dans l’oubli. Le troupeau des imitateurs, en venant puiser aux sources, les trouble et les comble de graviers : il est juste, il est utile, au point de vue de l’histoire littéraire, de les déblayer de temps en temps, et de les remettre en lumière. Toutefois, ce sentiment de justice aurait cédé à la crainte de reproduire un livre immoral ; mais, malgré les anathèmes lancés contre lui, le Moine ne nous a pas paru tel. Outre que l’intention générale en est irréprochable — ce qui ne nous aurait pas suffi, car nous ne sommes pas de ceux qui croient que le but final justifie tous