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à force d’aimer

ments de son rêve. René trouvait la vie bonne, et il la sentait, avec ivresse, rentrer triomphante dans ses veines, où se dissipait la fièvre.

Parfois des souvenirs se mêlaient à l’envolée de ses espérances. Il se rappelait son enfance, il songeait à sa mère. La petite maison de Clermont lui apparaissait, avec son jardinet propre, coquet et balayé comme un salon. Il revoyait, le long de l’avenue de Royat, les poteaux soutenant le câble du tramway électrique. Sa maman lui prenait la main et tous deux s’en allaient dans la montagne. Sa pauvre maman !… quelles rêveries mélancoliques elle emportait dans leurs promenades, derrière son doux et patient sourire ! Elle avait aimé comme il aimait, et elle avait souffert… souffert jusqu’à la mort !… Et tout cela était le passé, l’irréparable, ce qu’on ne pouvait effacer, ce qui ne reviendrait jamais !…

Ils s’assombrissaient contre le ciel pur, les arbres de l’hôtel Vallery, et René sentait quelque chose d’infini et de déchirant qui, tout bas, dans le concert de son bonheur, gémissait au fond de lui. C’était une plainte si âpre mais en même temps si douce qu’il doutait que ce fût une souffrance plutôt qu’une volupté. C’était la lamentation éteinte de sa race, tous les sanglots d’amour que ses ancêtres avaient jetés au vent des siècles… Alors, dans cette attestation éternelle de douleur, la passion de René devenait poignante et


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