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à force d’aimer

course avec Mlle Bjorklund, un domestique lui dit que Monsieur l’avait fait demander à plusieurs reprises et l’attendait dans son cabinet.

L’appréhension la fit presque défaillir. Cependant, sans même ôter ses gants ni son chapeau, les jambes tremblantes, elle y alla.

Rarement elle pénétrait dans ce grand cabinet somptueux, auquel l’ébène des meubles, le bronze des objets d’art, la nuance foncée des tentures, donnaient un caractère de gravité un peu théâtral. Parmi toutes ces notes sombres, la face décolorée de son père se détachait, toute blanche. Jamais elle ne l’avait vu si pâle.

Il la fit asseoir, tout près de lui… plus près encore… et lui prit la main d’un geste de caresse. Puis, à brûle-pourpoint, coup sur coup, il lui demanda si elle avait songé au mariage, et si elle épouserait volontiers Ludovic Chanceuil.

Huguette arracha sa main. Une pensée d’horreur la traversait, foudroyante. « C’était donc vrai ! Son père avait commis un crime… »

Mais aussitôt, comme il l’attirait vers lui, elle le laissa faire, se repentant déjà de son mouvement de répulsion, préférant tout à ce qu’il devinât qu’elle savait.

Pourtant, comme il l’interrogeait d’une voix tendre, le sentiment de tout ce qui s’écroulait en elle la remplit d’une si intense angoisse qu’elle éclata en sanglots.