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à force d’aimer

sombres volaient à travers son cerveau comme un souffle d’épouvante. Tout au fond d’elle-même sa confiance dans son père tant aimé, tant admiré, demeurait intacte. Mais une fatalité pouvait se tourner contre lui. Vaguement elle entrevoyait dans sa mémoire d’écolière des injustices historiques. Les innocents ne succombaient-ils pas quelquefois sous d’incompréhensibles évidences ? Chanceuil la voulait, et il avait imaginé, pour l’obtenir, quelque atroce machination. En même temps que de la répulsion, il lui inspirait de l’effroi. Elle perdit l’assurance qui, tout d’abord, l’avait poussée à le braver.

— « Chère Huguette… » murmurait-il, enhardi, « je vous aime tant ! Pardonnez-moi de vous faire de la peine !… Le soir où vous serez ma femme, je vous remettrai les papiers compromettants pour votre père… Nous les brûlerons… »

Elle défaillait, troublée surtout par une incertitude bouleversante. Sa pensée s’enfonçait dans des ombres où elle ne distinguait rien. Et sa solitude morale s’élargissait, lugubre. Oh ! si seulement elle avait pu se promettre de consulter Germaine, ou Mlle Bjorklund !… Mais comment leur dire qu’on accusait son père, sans paraître croire elle-même à cette accusation ? C’était un secret trop dangereux. En le divulguant, elle susciterait le soupçon, et même — elle commençait à le craindre — le ferait germer dans son propre cœur.