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à force d’aimer

filles comme nous deux Germaine, nous avons des responsabilités parce que nous avons des privilèges… »

Huguette s’arrêta, énervée de ce qu’on l’écoutât sans s’intéresser, sans lui suggérer des mots. Devant l’indifférence des cinq ou six jeunes mondains qui l’admiraient des yeux, mais souriaient ironiquement à ses paroles, son enthousiasme se dissimulait, gêné. Les grandes idées, qui lui semblaient si lumineuses dans la bouche de sa chère institutrice, s’embrumaient, s’effaçaient en passant par son petit cerveau, et arrivaient balbutiantes, puériles, au bord de ses lèvres.

Elle insista encore un peu cependant. Mais elle sentit bien que cette femme du Nord, animée du grand souffle humanitaire qui soulève sa race, éprise des spéculations généreuses de ses poètes, oublieuse d’elle-même, avide de science, de progrès, d’œuvres utiles, n’était, pour ces fils de bourgeois français, qu’une vieille fille pauvre et laide.

— « Quel âge a-t-elle ? » demanda l’un d’eux.

— « Trente-six ans, » répondit Huguette.

Un silence ennuyé tomba. L’orchestre, qui préludait aux premières danses, donna au petit groupe un prétexte pour se disperser.

À ce moment, Germaine, au bras de Mlle Bjorklund, ralentissait le pas pour achever ce qu’elle disait avant de pénétrer dans le hall.