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à force d’aimer

de ma vanité non moins abominable, est allée prendre, pour consommer son martyre, des armes — que je méprisais !… — parmi les instruments de torture à l’usage des forts contre les faibles. Oui, moi… moi, Horace Fortier… je me suis mis — pour broyer cette femme, que j’adorais… — dans le camp brutal des êtres qui me sont le plus odieux : des « justes » au point de vue social ; de ceux qui ont pour eux le droit, la loi et l’opinion, c’est-à-dire les appétits, les peurs et les bassesses des hommes réunis en troupeau. Hélène ne valait-elle pas mieux que moi, de par sa faute même ? Elle avait mis au monde un homme, et elle l’élevait noblement. Moi, qu’ai-je produit ? Des spéculations stériles. Elle a enfanté dans la douleur, dans l’humiliation. Moi, dans l’ivresse de l’orgueil… Mais elle avait toute la faiblesse de la femme, et moi toute l’arrogance écœurante du mâle. Mes pareils n’ont-ils pas rédigé les codes dont je profite ? N’ont-ils pas fait de la paternité un exploit galant, sans responsabilité, sans conséquence, tandis qu’ils faisaient un bagne de la maternité ?… Et c’est cela que j’ai suivi… C’est cela qui m’inspirait, au fond !… C’est avec cela que j’ai brisé le cœur et armé le revolver de cette pauvre enfant !…

— Mon ami, » disait la doctoresse, « rappelez vous vos réflexions actuelles si jamais vous exercez une influence dans l’avenir.