Page:Lesueur - À force d'aimer, 1895.djvu/158

Cette page a été validée par deux contributeurs.
154
à force d’aimer

si vite à lui laisser René, c’est qu’elle voulait émousser l’aiguillon de remords mêlé à la douleur d’Horace, satisfaire l’ardeur de réparation qui le dévorait. La préoccupation qu’elle lui concédait, n’était-ce pas la seule qui pût adoucir cette mâle et muette souffrance ? Elle ne se fût pas reconnu le droit de la lui disputer.

La nuit suivante, durant la veillée qu’ils partagèrent tous deux auprès de la morte, auprès de la forme suave et rigide, étendue maintenant sur le lit, Mme Giraudet s’applaudit davantage de ce qui, pour elle, avait été un véritable sacrifice. Elle pressentit que René ne pouvait avoir un meilleur éducateur qu’Horace, ni Horace une plus utile fructification de son épreuve que dans le développement de ce jeune esprit.

— « Ah ! » lui disait à voix basse M. Fortier, « je le dégagerai mieux que je ne me suis dégagé moi-même de toutes ces lâchetés sociales. Au fond, — je le vois bien maintenant, — moi, le révolté, le réformateur, le juge élevé au-dessus des peuples et des lois, sur le tribunal de ma conscience orgueilleuse, je n’ai fait que suivre honteusement ce qui, dans les préjugés humains, servait mes propres passions. J’ai rencontré une créature d’élite… Je l’ai jugée telle… Je la connaissais bien… Je l’admirais du fond de l’âme… Et, parce qu’elle ne m’avait pas rencontré le premier sur sa route, mon abominable jalousie, aidée