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à force d’aimer

suivre la marche des aiguilles, présumant au fur et à mesure le chemin accompli par sa domestique. Était-ce vraiment du sang-froid, la tranquillité avec laquelle cette belle jeune femme pleine de vie se disait à elle-même : « J’ai encore dix minutes… encore sept minutes… encore quatre minutes à vivre ?… » C’était plutôt une sombre et froide démence, l’idée fixe, plus engourdissante que le chloroforme, paralysant tout sentiment, toute réflexion, et régnant triomphante sur ce désastre de la personnalité. Moralement, Hélène déjà n’existait plus. La preuve, c’est qu’elle ne souffrait même pas. Ses yeux, qu’elle promenait sur les objets familiers, sur les meubles et les bibelots de sa chambre, sur les fleurs du jardin à travers le rideau, ne se mouillaient pas dans la sensation d’un atroce arrachement ; ils n’exprimaient qu’une immense curiosité et comme la fascination du mystère. Elle essayait de comprendre, de s’arrêter à une notion positive de l’acte effroyable, et elle ne pouvait pas… Encore un instant, et tous ces objets seraient encore les mêmes, dehors, sous le soleil, ou ici, dans le tranquille demi-jour de la chambre. Mais elle ne les verrait plus. Elle serait étendue là, ensanglantée, défigurée peut être… Morte !… C’est elle qui voulait cela… Était-ce possible ?… Elle eut un frisson, un sursaut, une révolte… Mais son regard, ramené machinalement vers la montre, put constater que