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à force d’aimer

d’où sa pensée était absente, l’oreille tendue à il ne savait quel bruit vaguement, ardemment espéré…

Mais aucune divination n’évoqua la réalité si proche. Entre ces deux êtres, que quelques pas auraient mis face à face, déjà le gouffre de l’éternité s’ouvrait. Toutes les paroles qu’ils devaient échanger — sans d’ailleurs se comprendre — étaient tombées de leurs lèvres.

Mlle Marinval se leva, rentra dans la maison. Le premier objet qu’elle vit, sur une table, fut le revolver dont, la veille, elle avait menacé Édouard Vallery, et qu’ensuite elle avait oublié. Elle étendit la main vers l’arme, pour la reprendre et la remettre en place. Mais, tout à coup, une idée la frappa ; elle eut un tressaillement, un recul. Puis elle se rapprocha, les yeux dilatés par une curiosité étrange. Elle souleva doucement le revolver, l’examina avec une attention profonde ; un instant, elle sortit une cartouche du barillet, la roula entre ses doigts, la pesa dans sa paume, l’appuya fortement contre la chair de sa main, comme pour l’y enfoncer. L’ouverture ronde et noire du canon l’attira ; elle la tourna vers son visage, y plongea un regard fixe.

— « Tiens, tu es là ! » fit une voix. « Bonjour, mère chérie. On m’a dit que tu étais dehors, et j’ai déjeuné tout seul. »

C’était René qui, du jardin, venait de l’aper-