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à force d’aimer

lèvres, était effrayante. Sa voix s’éleva, toute changée, d’un timbre assourdi, comme venue de très loin. La jeune femme se parlait à elle-même :

— « Dire qu’il y a eu un temps où de telles paroles, même lâches et fausses comme elles le sont, m’eussent rendue follement heureuse ! Je les ai souhaitées désespérément… En rêve, je croyais les entendre… Que j’ai souffert !… Qui m’aurait dit qu’un jour je les écouterais avec horreur, comme le condamné à mort sa sentence ?… Est-ce donc juste qu’elles me tuent ?… Mais qu’est-ce que j’ai fait pour subir de pareilles choses ?… Quel mal ?… J’ai donné à cet homme que voici un peu de bonheur… Il ne m’a rendu qu’abandon, larmes, indescriptibles angoisses… Puis, à cause de cela, un autre s’est fait mon justicier, m’a soumise à de nouvelles tortures… celles-là au-dessus de mes forces. J’ai été loyale cependant… Pourquoi donc avaient-ils tous les droits, et moi seulement des devoirs ?… des devoirs si compliqués que, malgré tout l’effort de ma volonté, je n’ai pas pu les remplir. Ce sont donc là les hommes ?… Ce sont là les lois qu’ils ont établies ?… Pourquoi celui-ci est-il venu ce soir chez moi, forçant ma porte, ruinant une seconde fois le peu de bonheur qui formait ma part dans ce monde ?… »

Édouard Vallery, qui commençait à pressentir