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les cordes… Soudain, d’une voix douce et basse, presque larmoyante, elle commence à chanter : « Bonnes gens, écoutez le chagrin de mon cœur. »

— Eh bien ? fait tout bas le prince.

— Une petite compa… murmuré-je en français, mais je n’achève pas, car en ce moment la voix de Grouchka atteint les notes les plus élevées : « On me vendra pour ma beauté, on me vendra ! » Puis elle envoie la guitare rouler à terre, elle arrache le fichu qui entoure son cou, se jette à plat ventre sur le divan et pleure, le visage caché dans ses mains. En la regardant, je pleure aussi, le prince à son tour fond en larmes, cependant il prend la guitare et commence d’un ton dolent, comme s’il chantait l’office des morts : « Si tu savais combien mon amour est ardent, si tu connaissais tout le chagrin de mon âme enflammée !… » Et il continue à travers ses sanglots : « Tranquillise mon cœur inquiet, rends le bonheur à un infortuné. » Je m’aperçois que l’agitation à laquelle il est en proie ne laisse pas Grouchka