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Chose remarquable, c’est surtout parmi les femmes d’esprit, qui abondaient en ce temps-là, à la ville et à la cour, qu’éclate cette émulation presque contagieuse d’égaler Perrault et même de le surpasser. Le sceptre de Perrault, le sceptre de l’empire de la féerie, qu’avec une bonhomie et une galanterie qui ne sont pas sans malice, il a laissé échapper de ses mains, tombe en quenouille. Et cette quenouille, ce sont naturellement des femmes qui la filent le mieux. La femme, qui a le génie épistolaire, a aussi reçu, en même temps que le privilège de la maternité, le don du récit, du conte à bercer les petits enfants. C’est pour le sexe une grâce d’état. Aussi s’est-il échappé de la quenouille et du rouet, du fuseau et de l’aiguille de la Mère l’Oye, maniés par des mains frivoles, mais délicates et ingénieuses, plus d’un joli travail, plus d’un tissu mignon, digne des fées qui l’ont inspiré, et où la trame espagnole et italienne, chevaleresque et romanesque, est finement brodée d’or et de soie et ornée à la française.

En même temps que ce courant d’imitation, qui arrache aux amateurs du genre leurs derniers suffrages et provoque leurs premiers dégoûts, se dessine un courant critique, sceptique, satirique, de réaction, de protestation. Hamilton, au nom d’une minorité, destinée à devenir la majorité, de gens d’esprit et de goût révoltés par des imbroglios puérils où le compliqué, le bizarre, remplacent l’ancien drame, si net, et où au naturel de l’ancien style a succédé une préciosité galante, dégénérant eu fadeur, s’en fera l’organe et le champion. À la fin du règne de Louis XIV, et jusqu’aux succès nouveaux d’exhumation de vieux récits et de rajeunissement des poèmes et des romans du moyen âge, qui consacrent la gloire sérieuse des Lacurne de Sainte-Palaye et la gloire frivole des comtes de Tressan et des Creuzé de Lesser, le conte de fées est un genre démodé, suranné, condamné par les inconstances de l’engouement français à une longue, peut-être éternelle disgrâce, et ces récits, un moments recherchés, tombent, de chute en chute, des mépris du salon et des dégoûts du boudoir à ce dernier affront, succédant à une courte popularité, des rebuts de l’antichambre.

Pourtant, pour l’historien et le critique littéraire, il y a dans ces vicissitudes du goût public, dans ces succès disputés, bientôt suivis d’un trop unanime dédain, un excès de raison qui touche à l’erreur, un excès de justice qui touche à l’injustice. Il y a, dans