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l’en prouvera que mieux, en nous intéressant peu à peu à cette laideur de Riquet à la Houppe, que l’esprit transfigure et qui finit par paraître moins disgracié, et enfin assez beau même pour être épousé, à celle qu’il ne saurait se flatter de conquérir du premier coup, mais qu’il gagne peu à peu à sa cause, à force de patience, de souplesse, de courtoisie, de grâce galante, d’esprit enfin, comme ce poète, Alain Chartier, dont la belle Madeleine d’Écosse voulut baiser pendant son sommeil la bouche d’où sortaient tant de belles choses.

L’esprit embellit la laideur, la constance fait tourner à son profit jusqu’aux disgrâces de la nature. Pour être aimé, il faut surtout être aimable. Ce sont là des axiomes à la fois aristocratiques et populaires d’une sagesse proverbiale et galante fort ancienne, auxquels maint conteur des veillées de la chaumière, maint trouvère ou troubadour, hôte ambulant et passager charmeur des châteaux, trouvait trop son compte personnel pour négliger de les vulgariser.

Il y a un conte en vers latins du milieu du quatorzième siècle, par Gottfried de Tirlemont, qui porte, dans son recueil, le titre de Asinarius vel Diadema, dont le héros triomphant est moins encore qu’un homme laid ; c’est un âne, lequel, il est vrai, cache un prince métamorphosé en baudet, et à qui l’amour rend sa forme première. Les graves et savants continuateurs de l’Histoire littéraire de France, MM.  Victor Leclerc et Ernest Renan, ne dédaignent pas de chercher et de trouver des rapprochements entre les aventures de ce prince Peau d’Âne et l’âne ou le serpent du Pantcha-Tantra ou d’un autre recueil de contes indiens. Dans Strapparole, c’est un porc, devenu le roi Porco, et l’on trouve là un nouveau témoignage du caractère ironique et gouailleur des légendes italiennes. Dans le Pentamerone, c’est la princesse Preziosa qui est une ourse, nais non une ourse mal léchée, puisqu’elle reconquiert par le mariage sa forme et sa beauté première.

Tous ces récits n’ont pas, croyons-nous, au point de vue de la conception de Riquet à la Houppe, même une valeur germinale, embryonnaire. On ne retrouve nulle part l’analogue de ce conte, dont les frères Grimm n’hésitent pas à attribuer la paternité entière à Perrault ; c’est une opinion que nous partageons, car ce conte est plein de son génie, plein du génie français et si sympathique aux instincts de notre race, qui a toujours fait, dans