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manda la femme. — Bah ! prends-le par les pattes et jette-le par-dessus le mur. »

« En entendant cette réponse, le chat se releva et lui dit : « Voilà donc ma récompense et mon remerciement pour vous avoir tiré de votre misère ! Voilà mon salaire pour vous avoir donné un palais, de beaux habits, et tous les plaisirs de la vie, à vous qui n’étiez qu’un pauvre diable, un meurt-de-faim, un va-nu-pieds ! Ah ! je le vois bien, à laver la tête d’un âne on y perd son temps et sa lessive. Maudit soit le jour où je vous ai secouru ! Vous ne méritez pas que je vous crache à la figure. Il est beau l’enterrement que vous vouliez me faire, et le cercueil d’or que vous m’aviez promis ! Voilà ce qu’on gagne à obliger les gens de votre sorte. Poignez vilain, il vous oindra ; oignez vilain, il vous poindra. » Et il lui tourna le dos. Cagliuso eut beau lui demander pardon le plus humblement du monde ; rien ne put l’apaiser. Il partit sans regarder derrière lui, grommelant entre ses dents : « Dieu nous garde d’un riche devenu pauvre et d’un pauvre devenu riche ! »

Dans la version norvégienne du Chat botté, Maître Pierre, le protégé du chat qu’il a eu si bon nez de recueillir et de garder, en dépit de la modicité d’un tel héritage, coupe la tête à son bienfaiteur ; mais son excuse, c’est que c’est par son ordre, comminatoire même : « Si tu ne le fais pas, dit le chat, je te crève les yeux. » Maître Pierre s’exécute, frappe en fermant les yeux, et les rouvre pour voir le chat métamorphosé ou plutôt démétamorphosé en une belle princesse qu’il épouse en récompense de son désenchantement, et avec laquelle il règne sur le domaine du Troll', ou ogre Scandinave, dépossédé.

Ce conte du chat qui fait la fortune de son maître, dont il compose tout le patrimoine, se retrouve, avec des variantes diverses, dans le recueil des Contes et Nouvelles qu’écrivait, en 1335, un simple ouvrier sellier, Nicolas de Troyes. Il y a une version allemande (recueil des frères Grimm, no 10 : les Trois Frères heureux), tschèque, serbe ; une version anglaise bien connue : Wittington et son chat. Mais le chef-d’œuvre de ces divers récits est incontestablement celui que Perrault a habillé à la française, paré de détails empruntés aux faits et aux mœurs de son temps, et marqué au coin de sa bonhomie fine et malicieuse. Il a ramené à la mesure de la sagesse bourgeoise et à son sourire sans fiel l’amertume satirique et ironique de la moralité populaire.

Du noble appauvri Dieu me gard !
Et d’un croquant passé richard !