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l’aveugle et narquoise complicité du destin dans certaines élévations subites, inexplicables par le mérite et le travail, et qu’il faut bien attribuera quelque influence surnaturelle dont l’instrument, par une vengeance du bon sens populaire, est ironiquement rapetissé.

Dans le conte napolitain, c’est un chat qui remplit cet office de courtier du hasard, nous ne pouvons dire de messager de la Providence, car ces fortunes subites et scandaleuses feraient croire à l’absence de la Providence, si elle n’attestait bientôt sa présence par la leçon d’une chute aussi exemplaire que l’élévation l’a été peu. Slrapparole néglige de dire ce que Constantin, devenu roi par la grâce féline, fit pour récompenser l’animal ingénieux, industrieux, à qui il devait tout. Le Pentamerone est plus explicite, et son dénouement, que Perrault n’a pas reproduit, et que nous citerons, car il en vaut la peine, nous fait assister à l’inévitable ingratitude de Gaglioso et à son juste châtiment.

Perrault, qui est bonhomme, dont l’expérience est sans amertume malgré ses soixante et dix ans, préfère, dans l’histoire du Chat botté comme dans celle de Cendrillon, comme dans toutes les autres, ce trait, est à remarquer, la solution optimiste, le dénouement favorable à l’humanité. Cendrillon pardonne à sa belle-mère et à ses sœurs, la femme de Barbe-Bleue n’a pas la gorge coupée, son bourreau ayant laissé débonnairement, plus prompt aux menaces qu’aux coups, le temps d’arriver aux frères libérateurs. Le Chat botté coule des jours heureux ci repus auprès de son maître reconnaissant, témoin honoré de la fortune dont il est l’auteur. La moralité du conte napolitain est plus amère et peut-être plus juste, comme on va en juger.

« Quand Caglioso se vit si extraordinairement riche et heureux, il remercia le chat plus qu’on ne saurait dire, et reconnut qu’il devait à ses fidèles services sa vie et sa grandeur. « Maintenant, lui dit-il, tu peux, ta vie durant, disposer de moi et de mes biens comme il te plaira, et, si nous avons le malheur de te perdre un jour, que je souhaite le plus éloigné possible, je te ferai embaumer, mettre dans un cercueil d’or et porter dans ma chambre pour y rester toujours sons mes yeux et te rappeler à mon souvenir. »

« Le chat voulut s’assurer de la sincérité de ces magnifiques promesses ; le lendemain, il s’étendit tout de son long dans une allée du jardin et fit comme s’il était mort. La femme de Caglioso, la princesse, le vit la première et s’écria : « Ah ! mon mari, quel malheur ! le chat est mort. — Au diable le chat ! répondit-il, mieux vaut lui que nous. — Qu’allons-nous en faire ? de-